Scène I



(Un vestibule. Au fond, la porte du salon. À droite, premier plan, porte d'entrée. À gauche, premier plan, une porte donnant sur les appartements de Laurence. À droite de cette porte, un cordon de sonnette. Dans le pan coupé de gauche, autre porte donnant sur les appartements de Cocarel. Au fond, un peu à gauche de la porte du salon, un paravent ; adossée au paravent, une chaise ; contrele pan coupé de droite, une table carrée ; au milieu de la scène, une baignoire, quelques chaises légères d'antichambre.)
(ADÉLAÏDE, CATULLE PORTANT UN SEAU.)

ADÉLAÏDE (un bougeoir à la main. )
Allons, un peu de courage, c'est le dernier…

CATULLE
C'est pas malheureux !
(Il vide le seau dans la baignoire.)

ADÉLAÏDE
Ah ! c'est fini… ouf !
(Elle s'assied avec lassitude.)

CATULLE
Hein !… ah ! oui, ça a dû te fatiguer…

ADÉLAÏDE
Ah ! allez, Monsieur Catulle, c'est dur d'être femme de chambre…

CATULLE
À qui le dis-tu… matin !

ADÉLAÏDE
Si j'avais su… c'est moi qui n'aurais pas quitté le demi…

CATULLE
Le demi…

ADÉLAÏDE
Eh ! bien, dites… oui le demi… j'étais placée dans le demi… chez une cocotte, dites… j'ai voulu être chez une femme honnête. Ah bien, dites, on vous fait porter l'eau, chez les femmes honnêtes… v'là ce que c'est que de déroger…

CATULLE
Comment, tu as servi chez une cocotte ? (Avec envie.)
Oh ! tu as de la chance !

ADÉLAÏDE
Ah ! dites, c'est que c'était joliment plus agréable chez elle ! D'abord, je n'étais pas seule… il y avait Benoît, le valet de pied, qui était aussi l'oncle de Madame, quand il y avait des étrangers…

CATULLE
Allons donc !

ADÉLAÏDE
Parole ! J'ai même jamais pu savoir si c'est son domestique qui lui servait d'oncle ou son oncle qui lui servait de domestique. Enfin, n'importe ! l'ouvrage allait joliment plus vite… Vous pensez, à nous deux !

CATULLE
Vous faisiez tout ?…

ADÉLAÏDE
Non ! nous ne faisions rien ! oh ! Madame avait tant d'amis, c'était pas la peine de fatiguer les domestiques.

CATULLE
C'est juste… Dis donc, Adélaïde…

ADÉLAÏDE
Monsieur…

CATULLE
Tu devrais me présenter à ton ancienne maîtresse…

ADÉLAÏDE
Moi ?…

CATULLE
Ah ! oui, dis…

ADÉLAÏDE
Oh ! Je regrette, Monsieur,… mais nous sommes en froid… Elle s'est mal conduite avec moi… alors, je l'ai quittée…

CATULLE
Qu'est-ce qu'elle t'a fait ?

ADÉLAÏDE
Elle m'a flanquée à la porte.

CATULLE
Allons donc !…

ADÉLAÏDE
Oui… oh ! depuis quelques temps elle ne me satisfaisait plus…

CATULLE
Voilà bien ma guigne, moi qui voudrais tant connaître une cocotte… Tiens !… il y a Badingeard, un de mes copains au collège, qui en a une, lui… eh bien ! tu n'as pas idée comme ça le pose ! quand il passe on dit : "Tiens ! voilà Badingeard, celui qui a une cocotte"… Et il est le premier de sa classe,… lui ! il a de la chance. Dis-moi, elle était jolie, ton ancienne maîtresse ?

ADÉLAÏDE
Mon Dieu, le soir,… oui,… mais le matin… oh ! toc !

CATULLE
Ah ! le matin, ça je m'en fiche,… pourvu que le soir… comme c'est pour les élèves, pour embêter Badingeard !… ah ! ah !… dis, tu ne peux pas me présenter tout de même ? ah ! dis ! mais tu sais, je paierai,… je sais que cela coûte de l'argent… Badingeard me l'a dit…

ADÉLAÏDE
Ah !

CATULLE
Dieu merci !… j'ai mes semaines…

ADÉLAÏDE
Ah, bien ! alors !…

CATULLE
Papa a chargé mon cousin Cocarel… qui est maintenant mon correspondant, de me donner 10 francs par semaine.

ADÉLAÏDE
Et vous pensez qu'avec cet argent ?…

CATULLE
Oh ! avec de l'argent, on arrive à tout,… même avec une cocotte ! et dire que je n'en ai jamais connu, moi !… une fois, j'ai bien cru cependant, on m'avait dit : "Voici, c'en est une !" eh bien ! oui ! Elle m'a demandé 10 louis. J'ai bien vu que c'était une femme du monde.

ADÉLAÏDE (qui, pendant toute la scène, a arrangé les divers objets nécessaires au bain, plie le peignoir de Laurence.)
Allons ! Il ne faut pas désespérer, monsieur Catulle… Voyons ! tout est prêt ! Madame va pouvoir prendre son bain.

CATULLE
Son bain !… alors, ce bain est pour ma cousine ?…

ADÉLAÏDE
Dame !

CATULLE (avec un soupir. )
Ah ! Elle est bien heureuse, cette baignoire !

ADÉLAÏDE
Ah ! candeur…

CATULLE
Ah ! elle est si jolie, ma cousine !

ADÉLAÏDE
Eh bien ! il faut le lui dire…

CATULLE
Ah ! je n'oserais pas… je suis trop timide… mais c'est égal, je suis bien content que papa me fasse sortir chez mon cousin Cocarel.

ADÉLAÏDE
Alors, vous êtes timide avec les femmes ?

CATULLE
Ah ! pas avec vous !
(Il l'embrasse.)

ADÉLAÏDE
Ah bien ! dites donc ; faudrait pas me prendre pour une horizontale…

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