Scène X



(ADÉLAÏDE, COCAREL)
(Cocarel entre, une bougie d'une main, une bouillotte d'eau chaude de l'autre. Il est en pantalon eten pantoufles et tient sa robe de chambre sous le bras.)

COCAREL
Il m'est venu une idée… Je me suis dit "Voilà un bain qui ne fait rien… qui me tend les bras. Eh, bien ! je vais le prendre." (Il pose sa bougie sur la chaise qui est contre le paravent.)
Et, ma foi ! je viens prendre mon bain !
(Il verse l'eau de la bouillotte dans le bain.)

ADÉLAÏDE (à part. )
Eh bien ! qu'est-ce qu'il fait ?

COCAREL
J'ai toujours des idées excellentes, moi (Il trempe ses doigts dans le bain.)
Ah ! l'eau est exquise ! pas trop chaude, cela ne pourra me faire que du bien !

ADÉLAÏDE
Hein ! Il va prendre son bain ? en voilà une idée. Si je pouvais m'échapper.
(Elle souffle la bougie.)

COCAREL
Hein ! ma bougie qui s'est éteinte. Qu'est-ce que ça veut dire ? Il n'y a rien d'ouvert, cependant !

ADÉLAÏDE
Comme cela je pourrai profiter de l'obscurité !
(Elle sort de derrière le paravent, sur la pointe des pieds.)

COCAREL
Non, cela n'est pas naturel, je vais rallumer.

ADÉLAÏDE
Oui, si tu trouves des allumettes.
(Elle met la boîte dans sa poche.)

COCAREL
Où sont-elles ? Je ne les trouve pas.

ADÉLAÏDE (se cognant sur un meuble. )
Ah ! maudit tabouret.

COCAREL
On a marché ! Qui est là ?
(Adélaïde reste clouée sur place et ne bouge pas.)

COCAREL
Voyons, répondez, j'ai bien entendu ! Laurence, c'est toi ? Dis !… Voyons !… pas de farce !… Laurence !
(Il saisit le bras d'Adélaïde.)

ADÉLAÏDE
Aïe !

COCAREL
Ah ! je te tiens ! (Il lui passe la main sur la figure.)
Nous allons bien voir !… une femme !… Ah ! tu vois bien que c'est toi, c'est inutile de te cacher, je te reconnais. Voilà bien ton nez !… ta taille ! … je reconnais ta taille. Ainsi ce n'est pas la peine,… et puis, est-ce qu'un mari ne reconnaît pas toujours sa femme, même au milieu de l'obscurité ?…

ADÉLAÏDE
Ah ! ma foi tant pis ! c'est le seul moyen de m'en tirer.

COCAREL
Voyons !… finis cette plaisanterie !… Dis-moi, n'est-ce pas que c'est toi ?

ADÉLAÏDE (bas. )
Eh bien ! oui, là, c'est moi.

COCAREL
Parbleu ! je n'ai pas besoin de voir clair !… Mais tu sais que l'obscurité te change la voix ; mais comment ne dors-tu pas à cette heure ? Qu'est-ce que tu fais là ?

ADÉLAÏDE
Vous… tu trouves ?

COCAREL
Oui.

ADÉLAÏDE (bas. )
Rien !… je ne sais,… j'étais couchée,… tout à coup, je me suis dit : "Je vais faire six fois le tour du vestibule". Alors, je n'ai plus tenu,… je me suis levée, et voilà ; je suis en train de faire six fois le tour du vestibule.

COCAREL
Une envie ! oh ! cher ange !

ADÉLAÏDE (à part. )
Ouf !

COCAREL
Mais tu as bien fait,… tu as bien fait. Tous tes caprices, il faut te les passer, entends-tu ?… Tu n'as pas d'autre fantaisie ?

ADÉLAÏDE (bas. )
Mon Dieu ! non… ah, si !… j'ai trouvé que nous ne payions pas assez cette bonne Adélaïde qui me sert si bien. Alors j'ai résolu de l'augmenter. (À part.)
Pas bête, ça !

COCAREL
Comment, tu veux ?… oh ! À quoi ça sert ? Elle ne se plaint de rien, cette fille… Il ne faut pas habituer les domestiques à ces choses-là.

ADÉLAÏDE (bas. )
Oh ! mais moi, je veux…

COCAREL
Voyons, c'est ridicule, demande autre chose. Veux-tu que je te mène demain à la Tour Eiffel ?

ADÉLAÏDE (bas. )
Non, je veux qu'on augmente Adélaïde, là !

COCAREL
Là ! là ! je l'augmenterai… Tu es là à crier tout bas. Calme-toi, voyons, qu'est-ce qu'elle a par mois ? 70 francs. Eh bien ! je lui en donnerai 72 ; là, es-tu contente ?

ADÉLAÏDE
72 ! ah, bien !… t'es vraiment rapiat !

COCAREL
Hein ! comment dis-tu ?… En voilà un argot !… Qu'est-ce qui t'a appris ce langage ?

ADÉLAÏDE (interloquée. )
Mais… ma mère. Il paraît que dans la vie, il est bon de savoir parler plusieurs langues.

COCAREL
Allons, poupoule, sois gentille, va te coucher, je vais allumer et te reconduire jusque chez toi…

ADÉLAÏDE (vivement. )
Non, non, n'allume pas !… (À part.)
Il ne manquerait plus que ça !… (Haut.)
… Non ! non, j'aime mieux l'obscurité, je rentrerai toute seule.

COCAREL
Mais si, attends… Où y a-t-il des allumettes ?

ADÉLAÏDE
Oui, cherche…

COCAREL
Ah ! je suis bête !… j'en cherche et j'en ai dans ma veste.

ADÉLAÏDE
Hein ! Il va allumer… (Jouant l'évanouissement.)
Ah ! Mon Dieu, un étourdissement !

COCAREL (effaré. )
Laurence ! Ah ! mon Dieu ! Laurence !
(Il la prend dans ses bras et l'assied sur ses genoux.)

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