Scène XIV



(CATULLE, PUIS LAURENCE)

CATULLE
Ah bien ! il s'en va… ah çà ! qu'est-ce que tout ça veut dire ?… il veut que je fasse la cour à sa femme, lui, le mari !… c'est pouffant ! Oui, seulement, il m'a dit : "en tout bien, tout honneur" ; jusqu'où cela va "en tout bien, tout honneur" Ah ! bien ! Je verrai bien jusqu'où je pourrai aller. C'est égal, il est très délicat, Sosthène, de m'avoir fait cette proposition,… parce que sans cela, cela ne me serait jamais venu de moi-même. J'aurais cru être indiscret… ah ! pristi, faire la cour à Laurence. Mais j'en ai tellement envie que je pourrai jamais y arriver !… ah ! sans cela !
(Il remonte dans le fond.)

LAURENCE (très agitée. )
Allons, je n'ai que ce moyen, c'est osé !… mais, monsieur Cocarel, c'est vous qui l'aurez voulu !

CATULLE
Ma cousine !

LAURENCE
Oh ! Catulle !… j'avais bien reconnu votre pas de ma chambre. Alors, je suis venue.

CATULLE (à part. )
Ah ! mon Dieu, est-ce qu'elle… aussi ?

LAURENCE (à part. )
Ma foi, c'est une envie. Cela n'a pas d'importance.

CATULLE
Ah ! Laurence ! J'ai bien des choses à vous dire…

LAURENCE
Vraiment ! (À part.)
Tiens, tiens, est-ce qu'il y viendrait de lui-même ?… Cela vaudrait encore mieux.

CATULLE (à part. )
Je n'oserai jamais.

LAURENCE (très tendre. )
Eh bien !

CATULLE
Eh bien ! (À part.)
Pristi ! quels yeux !… (Haut.)
Oh ! c'est que c'est bien difficile à dire…

LAURENCE (même jeu. )
Allons, dites toujours. Est-ce que je vous fais peur ?

CATULLE
Oh non ! (Prenant son courage à deux mains.)
Eh bien, je tiens à vous dire que je suis très heureux.

LAURENCE
Vraiment !

CATULLE
Ah ! oui, très heureux !… bien heureux de vous voir, de sortir dans cette maison,… d'être auprès de vous.

LAURENCE
Alors, vraiment, vous ne vous ennuyez pas ici ?

CATULLE (bien naïf)
Oh non ! certes !… c'est que je vous aime mieux que les pions, allez.

LAURENCE
Hein ?

CATULLE (à part)
Son front s'est plissé ! j'ai été trop loin. (Haut et vivement.)
Oh ! mais cela ne prouve rien, vous savez, ma cousine, parce que les pions, c'est si désagréable, si embêtant qu'on aime n'importe qui mieux qu'eux. Ainsi…

LAURENCE
Hein !… eh bien, vous avez une façon de me faire la cour, par exemple.

CATULLE
De vous faire la cour ?

LAURENCE (embarrassée. )
Dame ! Je croyais,… je pensais,… mais, mettons que je n'ai rien dit !

CATULLE
Ah ! Mais si !… mais si, ma cousine. Vous avez bien dit. Ah ! c'est que je suis si timide !… et je vous trouve tellement jolie que je perds la tête quand je vous vois. Oui ! j'avais toujours l'intention de vous dire combien je vous trouvais belle !… mais je n'osais jamais.

LAURENCE (avec un soupir de satisfaction. )
Allons donc !

CATULLE
Cela ne vous fâche pas, au-moins ?

LAURENCE
Ah ! c'est que je ne sais si je dois…

CATULLE
Ah ! cela vous fâche, je le vois bien ! et j'ai eu tort de parler. Je ne vous dirai plus rien.

LAURENCE
Mais si, mais si ! (À part.)
Et ma vengeance, alors ?

CATULLE
Comment, vous permettez ? Ah ! que vous êtes bonne, ma cousine. Alors, vous ne me repoussez pas ?… Vous voulez bien que je vous dise que je vous aime ?…

LAURENCE (à part.)
Eh bien !… il va bien !…

CATULLE
Ah ! si j'avais pu savoir !… Ah !… il y a longtemps que je vous aurais avoué ce que je n'osais vous dire. Mais vous vous montriez si froide avec moi.

LAURENCE
Moi ?

CATULLE
Oh ! Mais cela m'est égal. Maintenant que je sais à quoi m'en tenir, je suis heureux !… Je sais que je ne vous suis pas indifférent,… que je puis avoir de l'espoir !…

LAURENCE
De l'espoir ?… Ah ! taisez-vous, Catulle !… si mon mari vous entendait…

CATULLE
Ah ! cela lui serait bien égal !… nous sommes très bien ensemble. (Avec feu.)
Ah ! Laurence ! Combien nous allons nous aimer, à présent !… nous nous verrons souvent ! Tenez ! voulez-vous aller demain au Palais-Royal avec moi, dites ?

LAURENCE
Mais vous êtes fou !…

CATULLE
Ne refusez pas,… c'est moi qui offre. Ah ! Laurence, Laurence, que je suis content ! et comme les élèves m'envieront au collège quand ils sauront ma bonne fortune.

LAURENCE
Malheureux ! qu'est-ce que vous dites ?

CATULLE
Ah ! vous pensez bien que je vais leur raconter tout cela. Et c'est cela qui enfoncera Badingeard (Illui prend la main.)
Ah ! ma cousine, je vous aime !… je vous aime !… Laissez votre main dans ma main, laissez-moi vous presser sur mon cœur.

LAURENCE
Ah ! taisez-vous, Catulle, vous m'entendez ? Catulle, je vous défends…

CATULLE
Non, non, je ne me tairai jamais !… Je vous aime.

LAURENCE
Ah ! qu'elle imprudence j'ai faite.

CATULLE
Je veux m'enivrer de vos regards, de vos sourires ; votre voix m'enchante ! Tout en vous me charme et me séduit ! et je vous trouve belle !
(Il se met à genoux.)

LAURENCE
Ah ! mon Dieu !… (Très digne.)
Mais Monsieur ! Mais vous me faites une déclaration ?

CATULLE (toujours à genoux. )
Ah bien ! oui, cela en a l'air.

LAURENCE
Comment, vous osez ! Oh !… c'est trop fort !… Taisez-vous ! Il ne m'est pas possible d'en entendre davantage !… Taisez-vous, ou j'appelle !…

CATULLE (marchant sur les genoux. )
Vous ne ferez pas cela.

LAURENCE
Vous verrez bien !

CATULLE (même jeu. )
Je vous en défie !…

LAURENCE (saisissant le cordon de la sonnette. )
Ah ! vous m'en défiez ?

CATULLE (toujours à genoux. )
Ah ! pas de blagues ! (À part.)
J'ai peut-être été un peu loin.

Autres textes de Georges Feydeau

Un fil à la patte

"Un fil à la patte" est une comédie en trois actes de Georges Feydeau. Elle raconte l'histoire de Fernand de Bois d'Enghien, un homme qui souhaite rompre avec sa maîtresse,...

Tailleur pour dames

(Au lever du rideau, la scène est vide.)(Il fait à peine jour. Étienne entre par la porte de droite, deuxième plan.)(Il tient un balai, un plumeau, une serviette, tout ce...

Séance de nuit

(JOSEPH PUIS RIGOLIN ET EMILIE BAMBOCHE Au lever du rideau, Joseph achève de mettre le couvert. Par la porte du fond, qui est entr'ouverte, et donne sur le hall où...

Par la fenêtre

Un salon élégant. Au fond, une porte donnant sur un vestibule : à gauche, premier plan, une fenêtre ; — à droite, second plan, une cheminée, surmontée d'une glace ; ...

On va faire la cocotte

La chambre à coucher des Trévelin. Lit de milieu, au fond, face au public. A droite du lit, une table-guéridon tenant lieu de table de nuit ; sur ce guéridon, un...


Les auteurs


Les catégories

Médiawix © 2024