SCÈNE XXIV


Vérone. Un cimetière au milieu duquel s’élève le tombeau des Capulets.

Entre Pâris suivi de son page qui porte une torche et des fleurs.

PÂRIS.
Page, donne-moi ta torche. Éloigne-toi et tiens-toi à l’écart… Mais, non, éteins-la, car je ne veux pas être vu. Va te coucher sous ces ifs là-bas, en appliquant ton oreille contre la terre sonore ; aucun pied ne pourra se poser sur le sol du cimetière, tant de fois amolli et fouillé par la bêche du fossoyeur, sans que tu l’entendes : tu siffleras, pour m’avertir, si tu entends approcher quelqu’un… Donne-moi ces fleurs. Fais ce que je te dis. Va.

LE PAGEà part.
J’ai presque peur de rester seul ici dans le cimetière ; pourtant je me risque.

Il se retire.

PÂRIS.
Douce fleur, je sème ces fleurs sur ton lit nuptial, dont le dais, hélas ! est fait de poussière et de pierres ; je viendrai chaque nuit les arroser d’eau douce, ou, à son défaut, de larmes distillées par des sanglots ; oui, je veux célébrer tes funérailles en venant, chaque nuit, joncher ta tombe et pleurer.

Lueur d’une torche et bruit de pas au loin. Le page siffle.

Le page m’avertit que quelqu’un approche. Quel est ce pas sacrilége qui erre par ici la nuit et trouble les rites funèbres de mon amour ? Eh quoi ! une torche !… Nuit, voile-moi un instant.

Il se cache.

Entre Roméo, suivi de Balthazar qui porte une torche, une pioche et un levier.

ROMÉO.
Donne-moi cette pioche et ce crocheteur d’acier.

Remettant un papier au page.

Tiens, prends cette lettre ; demain matin, de bonne heure, aie soin de la remettre à mon seigneur et père… Donne-moi la lumière. Sur ta vie, voici mon ordre : quoi que tu voies ou entendes, reste à l’écart et ne m’interromps pas dans mes actes. Si je descends dans cette alcôve de la mort, c’est pour contempler les traits de ma dame, mais surtout pour détacher de son doigt inerte un anneau précieux, un anneau que je dois employer à un cher usage. Ainsi, éloigne-toi, va-t’en… Mais si, cédant au soupçon, tu oses revenir pour épier ce que je veux faire, par le ciel, je te déchirerai lambeau par lambeau, et je joncherai de tes membres ce cimetière affamé. Ma résolution est farouche comme le moment ; elle est plus terrible et plus inexorable que le tigre à jeun ou la mer rugissante.

BALTHAZAR.
Je m’en vais, monsieur, et je ne vous troublerai pas.

ROMÉO.
C’est ainsi que tu me prouveras ton dévouement…

Lui jetant sa bourse.
Prends ceci : vis et prospère… Adieu, cher enfant.

BALTHAZAR, à part.
N’importe. Je vais me cacher aux alentours ; sa mine m’effraye, et je suis inquiet sur ses intentions.

Il se retire.

ROMÉOprenant le levier et allant au tombeau.
Horrible gueule, matrice de la mort, gorgée de ce que la terre a de plus précieux, je parviendrai bien à ouvrir tes lettres pourries et à te fourrer de force une nouvelle proie !

Il enfonce la porte du monument.

PÂRIS.
C’est ce banni, ce Montague hautain qui a tué le cousin de ma bien-aimée : la belle enfant en est morte de chagrin, à ce qu’on suppose. Il vient ici pour faire quelque infâme outrage aux cadavres : je vais l’arrêter…

Il s’avance.

Suspends ta besogne impie, vil Montague : la vengeance peut-elle se poursuivre au delà de la mort ? Misérable condamné, je t’arrête. Obéis et viens avec moi ; car il faut que tu meures.

ROMÉO.
Il le faut en effet, et c’est pour cela que je suis venu ici… Bon jeune homme, ne tente pas un désespéré, sauve-toi d’ici et laisse-moi…

Montrant les tombeaux.

Songe à tous ces morts, et recule épouvanté… Je t’en supplie, jeune homme, ne charge pas ma tête d’un péché nouveau en me poussant à la fureur… Oh ! va-t’en. Par le ciel, je t’aime plus que moi-même, car c’est contre moi-même que je viens ici armé. Ne reste pas, va-t’en ; vis, et dis plus tard que la pitié d’un furieux t’a forcé de fuir.

PÂRISl’épée à la main.
Je brave ta commisération, et je t’arrête ici comme félon.

ROMÉO.
Tu veux donc me provoquer ? Eh bien, à toi, enfant !

Ils se battent.

LE PAGE.
Ô ciel ! ils se battent : je vais appeler le guet.

Il sort en courant.

PÂRIStombant.
Oh ! je suis tué !… Si tu es généreux, ouvre le tombeau et dépose-moi près de Juliette.

Il expire.

ROMÉO.
Sur ma foi, je le ferai.

Se penchant sur le cadavre.

Examinons cette figure : un parent de Mercutio, le noble comte Pâris ! Que m’a donc dit mon valet ? Mon âme, bouleversée, n’y a pas fait attention… Nous étions à cheval… Il me contait, je crois, que Pâris devait épouser Juliette. M’a-t-il dit cela, ou l’ai-je rêvé ? Ou, en l’entendant parler de Juliette, ai-je eu la folie de m’imaginer cela ?

Prenant le cadavre par le bras.

Oh ! donne-moi ta main, toi que l’âpre adversité a inscrit comme moi sur son livre ! Je vais t’ensevelir dans un tombeau triomphal… Un tombeau ? Oh ! non, jeune victime, c’est un louvre splendide, car Juliette y repose, et sa beauté fait de ce caveau une salle de fête illuminée.

Il dépose Pâris dans le monument.

Mort, repose ici, enterré par un mort. Que de fois les hommes à l’agonie ont eu un accès de joie, un éclair avant la mort, comme disent ceux qui les soignent… Ah ! comment comparer ceci à un éclair ?

Contemplant le corps de Juliette.

Ô mon amour ! ma femme ! La mort qui a sucé le miel de ton haleine n’a pas encore eu de pouvoir sur ta beauté : elle ne t’a pas conquise ; la flamme de la beauté est encore toute cramoisie sur tes lèvres et sur tes joues, et le pâle drapeau de la mort n’est pas encore déployé là…

Allant à un autre cercueil.

Tybalt ! te voilà donc couché dans ton linceul sanglant ! Oh ! que puis-je faire de plus pour toi ? De cette même main qui faucha ta jeunesse, je vais abattre celle de ton ennemi. Pardonne-moi, cousin.

Revenant sur ses pas.

Ah ! chère Juliette, pourquoi es-tu si belle encore ? Dois-je croire que le spectre de la Mort est amoureux et que l’affreux monstre décharné te garde ici dans les ténèbres pour te posséder !… Horreur ! Je veux rester près de toi, et ne plus sortir de ce sinistre palais de la nuit ; ici, ici, je veux rester avec ta chambrière, la vermine ! Oh ! c’est ici que je veux fixer mon éternelle demeure et soustraire au joug des étoiles ennemies cette chair lasse du monde…

Tenant le corps embrassé.

Un dernier regard, mes yeux ! bras, une dernière étreinte ! et vous, lèvres, vous, portes de l’haleine, scellez par un baiser légitime un pacte indéfini avec le sépulcre accapareur !

Saisissant la fiole.

Viens, amer conducteur, viens, âcre guide. Pilote désespéré, vite ! lance sur les brisants ma barque épuisée par la tourmente ! À ma bien-aimée !

Il boit le poison.

Oh ! l’apothicaire ne m’a pas trompé : ses drogues sont actives… Je meurs ainsi… sur un baiser !

Il expire en embrassant Juliette.

Frère Laurence paraît à l’autre extrémité du cimetière, avec une lanterne, un levier et une bêche.

LAURENCE.
Saint François me soit en aide ! Que de fois cette nuit mes vieux pieds se sont heurtés à des tombes !

Il rencontre Balthazar étendu à terre.

Qui est là ?

BALTHAZARse relevant.
Un ami ! quelqu’un qui vous connaît bien.

LAURENCE, montrant le tombeau des Capulets.
Soyez béni !… Dites-moi, mon bon ami, quelle est cette torche là-bas qui prête sa lumière inutile aux larves et aux crânes sans yeux ? Il me semble qu’elle brûle dans le monument des Capulets.

BALTHAZAR.
En effet, saint prêtre ; il y a là mon maître, quelqu’un que vous aimez.

LAURENCE.
Qui donc ?

BALTHAZAR.
Roméo.

LAURENCE.
Combien de temps a-t-il été là ?

BALTHAZAR.
Une grande demi-heure.

LAURENCE.
Viens avec moi au caveau.

BALTHAZAR.
Je n’ose pas, messire. Mon maître croit que je suis parti ; il m’a menacé de mort en termes effrayants, si je restais à épier ses actes.

LAURENCE.
Reste donc, j’irai seul… L’inquiétude me prend : oh ! je crains bien quelque malheur.

BALTHAZAR.
Comme je dormais ici sous cet if, j’ai rêvé que mon maître se battait avec un autre homme et que mon maître le tuait.

LAURENCEallant vers le tombeau.
Roméo !

Dirigeant la lumière de sa lanterne sur l’entrée du tombeau.

Hélas ! hélas ! quel est ce sang qui tache le seuil de pierre de ce sépulcre ? Pourquoi ces épées abandonnées et sanglantes projettent-elles leur sinistre lueur sur ce lieu de paix ?

Il entre dans le monument.

Roméo ! Oh ! qu’il est pâle !… Quel est cet autre ? Quoi, Pâris aussi ! baigné dans son sang ! Oh ! quelle heure cruelle est donc coupable de cette lamentable catastrophe ?…

Éclairant Juliette.

Elle remue !

Juliette s’éveille et se soulève.

JULIETTE.
Ô frère charitable, où est mon seigneur ? Je me rappelle bien en quel lieu je dois être : m’y voici… Mais où est Roméo ?

Rumeur au loin.

LAURENCE.
J’entends du bruit… Ma fille, quitte ce nid de mort, de contagion, de sommeil contre nature. Un pouvoir au-dessus de nos contradictions a déconcerté nos plans. Viens, viens, partons ! Ton mari est la gisant sur ton sein, et voici Pâris. Viens, je te placerai dans une communauté de saintes religieuses ; pas de questions ! le guet arrive… Allons, viens, chère Juliette.

La rumeur se rapproche.

Je n’ose rester plus longtemps.

Il sort du tombeau et disparaît.

JULIETTE.
Va, sors d’ici, car je ne m’en irai pas, moi. Qu’est ceci ? Une coupe qu’étreint la main de mon bien-aimé ? C’est le poison, je le vois, qui a causé sa fin prématurée. L’égoïste ! il a tout bu ! il n’a pas laissé une goutte amie pour m’aider à le rejoindre !… Je veux baiser tes lèvres ; peut-être y trouverai-je un reste de poison dont le baume me fera mourir…

Elle l’embrasse.

Tes lèvres sont chaudes !

PREMIER GARDEderrière le théâtre.
Conduis-nous, page… De quel côté ?

JULIETTE.
Oui, du bruit ! Hâtons-nous donc !

Saisissant le poignard de Roméo.

Ô heureux poignard ! voici ton fourreau…

Elle se frappe.

Rouille-toi là et laisse-moi mourir !

Elle tombe sur le corps de Roméo et expire.

Entre le guet, conduit par le page de Pâris.

LE PAGEmontrant le tombeau.
Voilà l’endroit, là où la torche brûle.

PREMIER GARDEà l’entrée du tombeau.
Le sol est sanglant. Qu’on fouille le cimetière. Allez plusieurs et arrêtez qui vous trouverez.

Des gardes sortent.

Spectacle navrant ! Voici le comte assassiné… et Juliette en sang !… chaude encore !… morte il n’y a qu’un moment, elle qui était ensevelie depuis deux jours !… Allez prévenir le prince, courez chez les Capulets, réveillez les Montagues… que d’autres aillent aux recherches.

D’autres gardes sortent.

Nous voyons bien le lieu où sont entassés tous ces désastres ; mais les causes qui ont donné lieu à ces désastres lamentables, nous ne pouvons les découvrir sans une enquête.

Entrent quelques gardes, ramenant Balthazar.

DEUXIÈME GARDE.
Voici le valet de Roméo, nous l’avons trouvé dans le cimetière.

PREMIER GARDE.
Tenez-le sous bonne garde jusqu’à l’arrivée du prince.

Entre un garde, ramenant frère Laurence.

TROISIÈME GARDE.
Voici un moine qui tremble, soupire et pleure. Nous lui avons pris ce levier et cette bêche, comme il venait de ce côté du cimetière.

PREMIER GARDE.
Graves présomptions ! Retenez aussi ce moine.

Le jour commence à poindre. Entrent le prince et sa suite.

LE PRINCE.
Quel est le malheur matinal qui enlève ainsi notre personne à son repos ?

Entrent Capulet, lady Capulet, et leur suite.

CAPULET.
Pourquoi ces clameurs qui retentissent partout ?

LADY GAPULET.
Le peuple dans les rues crie : Roméo !… Juliette !… Pâris ! et tous accourent, en jetant l’alarme, vers notre monument.

LE PRINCE.
D’où vient cette épouvante qui fait tressaillir nos oreilles ?

PREMIER GARDEmontrant les cadavres.
Mon souverain, voici le comte Pâris assassiné ; voici Roméo mort ; voici Juliette, la morte qu’on pleurait, chaude encore et tout récemment tuée.

LE PRINCE.
Cherchez, fouillez partout, et sachez comment s’est fait cet horrible massacre.

PREMIER GARDE.
Voici un moine, et le valet du défunt Roméo : ils ont été trouvés munis des instruments nécessaires pour ouvrir la tombe de ces morts.

CAPULET.
Ô ciel !… Oh ! vois donc, femme, notre fille est en sang !… Ce poignard s’est mépris… tiens ! sa gaine est restée vide au flanc du Montague, et il s’est égaré dans la poitrine de ma fille !

LADY CAPULET.
Mon Dieu ! ce spectacle funèbre est le glas qui appelle ma vieillesse au sépulcre.

Entrent Montague et sa suite.

LE PRINCE.
Approche, Montague : tu t’es levé avant l’heure pour voir ton fils, ton héritier couché avant l’heure.

MONTAGUE.
Hélas ! mon suzerain, ma femme est morte cette nuit. L’exil de son fils l’a suffoquée de douleur ! Quel est le nouveau malheur qui conspire contre mes années ?

LE PRINCEmontrant le tombeau.
Regarde, et tu verras.

MONTAGUEreconnaissant Roméo.
Ô mal appris ! Y a-t-il donc bienséance à prendre le pas sur ton père dans la tombe ?

LE PRINCE.
Fermez la bouche aux imprécations, jusqu’à ce que nous ayons pu éclaircir ces mystères, et en connaître la source, la cause et l’enchaînement. Alors c’est moi qui mènerai votre deuil, et qui le conduirai, s’il le faut, jusqu’à la mort. En attendant, contenez-vous, et que l’affliction s’asservisse à la patience… Produisez ceux qu’on soupçonne.

Les gardes amènent Laurence et Balthazar.

LAURENCE.
Tout impuissant que j’ai été, c’est moi qui suis le plus suspect, puisque l’heure et le lieu s’accordent à m’imputer cet horrible meurtre ! me voici, prêt à m’accuser et à me défendre, prêt à m’absoudre en me condamnant.

LE PRINCE.
Dis donc vite ce que tu sais sur ceci.

LAURENCE.
Je serai bref : car le peu de souffle qui me reste ne suffirait pas à un récit prolixe. Roméo, ici gisant, était l’époux de Juliette ; et Juliette, ici gisante, était la femme fidèle de Roméo. Je les avais mariés : le jour de leur mariage secret fut le dernier jour de Tybalt, dont la mort prématurée proscrivit de cette cité le nouvel époux. C’était lui, et non Tybalt, que pleurait Juliette.

À Capulet.
Vous, pour chasser la douleur qui assiégeait votre fille, vous l’aviez fiancée et vous vouliez la marier de force au comte Pâris. Sur ce, elle est venue à moi, et, d’un air effaré m’a dit de trouver un moyen pour la soustraire à ce second mariage : sinon, elle voulait se tuer, là, dans ma cellule. Alors, sur la foi de mon art, je lui ai remis un narcotique qui a agi, comme je m’y attendais, en lui donnant l’apparence de la mort. Cependant j’ai écrit à Roméo d’arriver, dès cette nuit fatale, pour aider Juliette à sortir de sa tombe empruntée, au moment où l’effet du breuvage cesserait. Mais celui qui était chargé de ma lettre, frère Jean, a été retenu par un accident, et me l’a rapportée hier soir. Alors tout seul, à l’heure fixée d’avance pour le réveil de Juliette, je me suis rendu au caveau des Capulets dans l’intention de l’emmener et de la recueillir dans ma cellule jusqu’à ce qu’il me fût possible de prévenir Roméo. Mais quand je suis arrivé, quelques minutes avant le moment de son réveil, j’ai trouvé ici le noble Pâris et le fidèle Roméo prématurément couchés dans le sépulcre. Elle s’éveille, je la conjure de partir et de supporter ce coup du ciel avec patience… Aussitôt un bruit alarmant me chasse de la tombe ; Juliette, désespérée, refuse de me suivre, et c’est sans doute alors qu’elle s’est fait violence à elle-même. Voilà tout ce que je sais. La nourrice était dans le secret de ce mariage. Si dans tout ceci quelque malheur est arrivé par ma faute, que ma vieille vie soit sacrifiée, quelques heures avant son épuisement, à la rigueur des lois les plus sévères.

LE PRINCE.
Nous t’avons toujours connu pour un saint homme… Où est le valet de Roméo ? qu’a-t-il à dire ?

BALTHAZAR.
J’ai porté à mon maître la nouvelle de la mort de Juliette ; aussitôt il a pris la poste, a quitté Mantoue et est venu dans ce cimetière, à ce monument. Là, il m’a chargé de remettre de bonne heure à son père la lettre que voici, et, entrant dans le caveau, m’a ordonné sous peine de mort de partir et de le laisser seul.

LE PRINCEprenant le papier que tient Balthazar.
Donne-moi cette lettre, je veux la voir… Où est le page du comte, celui qui a appelé le guet ? Maraud, qu’est-ce que ton maître a fait ici ?

LE PAGE.
Il est venu jeter des fleurs sur le tombeau de sa fiancée et m’a dit de me tenir à l’écart, ce que j’ai fait. Bientôt un homme avec une lumière est arrivé pour ouvrir la tombe ; et, quelques instants après, mon maître a tiré l’épée contre lui ; et c’est alors que j’ai couru appeler le guet.

LE PRINCEjetant les yeux sur la lettre.
Cette lettre confirme les paroles du moine… Voilà tout le récit de leurs amours… Il a appris qu’elle était morte ; aussitôt, écrit-il, il a acheté du poison d’un pauvre apothicaire et sur-le-champ s’est rendu dans ce caveau pour y mourir et reposer près de Juliette…

Regardant autour de lui.

Où sont-ils, ces ennemis ? Capulet ! Montague ! Voyez par quel fléau le ciel châtie votre haine : pour tuer vos joies il se sert de l’amour !… Et moi, pour avoir fermé les yeux sur vos discordes, j’ai perdu deux parents. Nous sommes tous punis.

CAPULET.
Ô Montague, mon frère, donne-moi la main.

Il serre la main de Montague.
Voici le douaire de ma fille ; je n’ai rien à te demander de plus.

MONTAGUE.
Mais moi, j’ai à te donner plus encore. Je veux dresser une statue de ta fille en or pur. Tant que Vérone gardera son nom, il n’existera pas de figure plus honorée que celle de la loyale et fidèle Juliette.

CAPULET.
Je veux que Roméo soit auprès de sa femme dans la même splendeur : pauvres victimes de nos inimitiés !

LE PRINCE.
Cette matinée apporte avec elle une paix sinistre, le soleil se voile la face de douleur. Partons pour causer encore de ces tristes choses. Il y aura des graciés et des punis. Car jamais aventure ne fut plus douloureuse que celle de Juliette et de son Roméo.

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