SCÈNE X


L’appartement de Juliette.

Entre Juliette.

JULIETTE.
L’horloge frappait neuf heures, quand j’ai envoyé la nourrice ; elle m’avait promis d’être de retour en une demi-heure… Peut-être n’a-t-elle pas pu le trouver !… Mais non… Oh ! Elle est boiteuse ! Les messagers d’amour devraient être des pensées, plus promptes dix fois que les rayons du soleil qui dissipent l’ombre au-dessus des collines nébuleuses. Aussi l’amour est-il traîné par d’agiles colombes ; aussi Cupidon a-t-il des ailes rapides comme le vent. Maintenant le soleil a atteint le sommet suprême de sa course d’aujourd’hui ; de neuf heures à midi il y a trois longues heures, et elle n’est pas encore venue ! Si elle avait les affections et le sang brûlant de la jeunesse, elle aurait le leste mouvement d’une balle ; d’un mot je la lancerais à mon bien-aimé qui me la renverrait d’un mot. Mais ces vieilles gens, on les prendrait souvent pour des morts, à voir leur inertie, leur lenteur, leur lourdeur et leur pâleur de plomb.

Entrent la nourrice et Pierre.

JULIETTE.
Mon Dieu, la voici enfin… Ô nourrice de miel, quoi de nouveau ? L’as-tu trouvé ?… Renvoie cet homme.

LA NOURRICE.
Pierre, restez à la porte.

Pierre sort.

JULIETTE.
Eh bien, bonne, douce nourrice ?… Seigneur ! Pourquoi as-tu cette mine abattue ? Quand tes nouvelles seraient tristes, annonce-les-moi gaiement. Si tes nouvelles sont bonnes, tu fais tort à leur douce musique en me la jouant avec cet air aigre.

LA NOURRICE.
Je suis épuisée ; laisse-moi respirer un peu. Ah ! Que mes os me font mal ! Quelle course j’ai faite !

JULIETTE.
Je voudrais que tu eusses mes os, pourvu que j’eusse des nouvelles… Allons, je t’en prie, parle ; bonne, bonne nourrice, parle.

LA NOURRICE.
Jésus ! Quelle hâte ! Pouvez-vous pas attendre un peu ? Voyez-vous pas que je suis hors d’haleine ?

JULIETTE.
Comment peux-tu être hors d’haleine quand il te reste assez d’haleine pour me dire que tu es hors d’haleine ? L’excuse que tu donnes à tant de délais est plus longue à dire que le récit que tu t’excuses de différer. Tes nouvelles sont-elles bonnes ou mauvaises ? Réponds à cela ; réponds d’un mot, et j’attendrai les détails. Édifie-moi : sont elles bonnes ou mauvaises ?

LA NOURRICE.
Ma foi, vous avez fait là un pauvre choix : vous ne vous entendez pas à choisir un homme : Roméo, un homme ? non. Bien que son visage soit le plus beau visage qui soit, il a la jambe mieux faite que tout autre ; et pour la main, pour le pied, pour la taille, bien qu’il n’y ait pas grand chose à en dire, tout cela est incomparable… Il n’est pas la fleur de la courtoisie, pourtant je le garantis aussi doux qu’un agneau… Va ton chemin, fillette, sers Dieu… Ah çà ! avez-vous dîné ici ?

JULIETTE.
Non, non… Mais je savais déjà tout cela. Que dit-il de notre mariage ? Qu’est-ce qu’il en dit ?

LA NOURRICE.
Seigneur que la tête me fait mal ! Quelle tête j’ai ! Elle bat comme si elle allait tomber en vingt morceaux… Et puis, d’un autre côté, mon dos… Oh ! mon dos ! mon dos ! Méchant cœur que vous êtes de m’envoyer ainsi pour attraper ma mort à galoper de tous côtés !

JULIETTE.
En vérité, je suis fâchée que tu ne sois pas bien : chère, chère, chère nourrice, dis-moi, que dit mon bien-aimé ?

LA NOURRICE.
Votre bien-aimé parle en gentilhomme loyal, et courtois, et affable, et gracieux, et, j’ose le dire, vertueux… Où est votre mère ?

JULIETTE.
Où est ma mère ? Eh bien, elle est à la maison : où veux-tu qu’elle soit ? Que tu réponds singulièrement ! Votre bien-aimé parle en gentilhomme loyal, où est votre mère ?

LA NOURRICE.
Oh ! Notre-Dame du bon Dieu ! Êtes-vous à ce point brûlante ? Pardine, échauffez-vous encore : est-ce là votre cataplasme pour mes pauvres os ? Dorénavant, faites vos messages vous-même !

JULIETTE.
Que d’embarras !… Voyons, que dit Roméo ?

LA NOURRICE.
Avez-vous la permission d’aller à confesse aujourd’hui ?

JULIETTE.
Oui.

LA NOURRICE.
Eh bien, courez de ce pas à la cellule de frère Laurence : un mari vous y attend pour faire de vous sa femme. Ah bien ! voilà ce fripon de sang qui vous vient aux joues : bientôt elles deviendront écarlates à la moindre nouvelle. Courez à l’église ; moi, je vais d’un autre côté chercher l’échelle par laquelle votre bien-aimé doit grimper jusqu’au nid de l’oiseau, dès qu’il fera nuit noire. C’est moi qui suis la bête de somme, et je m’épuise pour votre plaisir ; mais, pas plus tard que ce soir, ce sera vous qui porterez le fardeau. Allons je vais dîner ; courez vite à la cellule.

JULIETTE.
Vite au bonheur suprême !… Honnête nourrice, adieu.

Elles sortent par des côtés différents.

Autres textes de William Shakespeare

Hamlet

"Hamlet" est une des tragédies les plus célèbres et les plus influentes écrites par William Shakespeare. L'œuvre, créée autour de 1600, se déroule au Danemark et raconte l'histoire complexe et...

Macbeth

"Macbeth" est une tragédie de William Shakespeare, souvent considérée comme l'une de ses œuvres les plus sombres et les plus puissantes. Elle a été écrite vers 1606 et se déroule...

Le Songe d'une nuit d'été

"Le Songe d'une Nuit d'Été" est une comédie écrite par William Shakespeare, probablement vers la fin du XVIe siècle. Contrairement aux tragédies comme "Roméo et Juliette" ou "Le Roi Lear",...

Le Roi Lear

"Le Roi Lear" est une tragédie célèbre de William Shakespeare, traitant de thèmes tels que la folie, la trahison, la justice et la nature humaine. L'histoire se concentre sur le...


Les auteurs


Les catégories

Médiawix © 2024