La Poésie

À Victor Géruzez


Quand j’entends disputer les hommes
Sur Dieu qu’ils ne pénètrent point,
Je me demande où nous en sommes :
Hélas ! toujours au même point.

Oui, j’entends d’admirables phrases,
Des sons par la bouche ennoblis ;
Mais les mots ressemblent aux vases :
Les plus beaux sont les moins remplis.

Alors, pour me sauver du doute,
J’ouvre un Euclide avec amour ;
Il propose, il prouve, et j’écoute,
Et je suis inondé de jour.

L’évidence, éclair de l’étude,
Jaillit, et me laisse enchanté !
Je savoure la certitude,
Mon seul vrai bonheur, ma santé !

Pareil à l’antique sorcière
Qui met, par le linéament
Qu’elle a tracé dans la poussière,
Un monde obscur en mouvement,

Je forme un triangle : ô merveille !
Le peuple des lois endormi
S’agite avec lenteur, s’éveille
Et se déroule à l’infini.

Avec trois lignes sur le sable
Je connais, je ne doute plus !
Un triangle est donc préférable
Aux mots sonores que j’ai lus ?

Non ! j’ai foi dans la Poésie :
Elle instruit par témérité ;
Elle allume sa fantaisie
Dans tes beaux yeux, ô Vérité !

Si le doigt des preuves détache
Ton voile aux plis multipliés,
Le vent des strophes te l’arrache,
D’un seul coup, de la tête aux pieds.

Et c’est pourquoi, toute ma vie,
Si j’étais poète vraiment,
Je regarderais sans envie
Képler toiser le firmament !


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