Ce beau printemps qui vient de naître,À peine goûté va finir ;Nul de nous n’en fera connaîtreLa grâce aux peuples à venir.Nous n’osons plus parler des roses :Quand nous les chantons, on en rit ;Car des plus adorables chosesLe culte...
J’ai voulu tout aimer, et je suis malheureux,Car j’ai de mes tourments multiplié les causes ;D’innombrables liens frêles et douloureuxDans l’univers entier vont de mon âme aux choses.Tout m’attire à la fois et d’un attrait pareil :Le vrai par ses...
À Albert DecraisLe vase où meurt cette verveineD’un coup d’éventail fut fêlé ;Le coup dut effleurer à peine :Aucun bruit ne l’a révélé.Mais la légère meurtrissure,Mordant le cristal chaque jour,D’une marche invisible et sûreEn a fait lentement le tour.Son eau...
L’habitude est une étrangèreQui supplante en nous la raison :C’est une ancienne ménagèreQui s’installe dans la maison.Elle est discrète, humble, fidèle,Familière avec tous les coins ;On ne s’occupe jamais d’elle,Car elle a d’invisibles soins :Elle conduit les pieds de l’homme,Sait...
À Paul BouvardJe rêve, et la pâle roséeDans les plaines perle sans bruit,Sur le duvet des fleurs poséePar la main fraîche de la nuit.D’où viennent ces tremblantes gouttes ?Il ne pleut pas, le temps est clair ;C’est qu’avant de se...
Je voudrais, les prunelles closes,Oublier, renaître, et jouirDe la nouveauté, fleur des choses,Que l’âge fait évanouir.Je resalurais la lumière,Mais je déplîrais lentementMon âme vierge et ma paupièrePour savourer l’étonnement ;Et je devinerais moi-mêmeLes secrets que nous apprenons ;J’irais seul aux...
J’imagine ! Ainsi je puis faireUn ange sous mon front mortel !Et qui peut dire en quoi diffèreL’être imaginé du réel ?O mon intime Galatée,Qui fais vivre en moi mon amour,Par quelle terre es-tu portée ?De quel soleil prends-tu le...
Toi qui peux monter solitaireAu ciel, sans gravir les sommets,Et dans les vallons de la terreDescendre sans tomber jamais ;Toi qui, sans te pencher au fleuveOù nous ne puisons qu’à genoux,Peux aller boire avant qu’il pleuveAu nuage trop haut pour...
Après le départ des oiseaux,Les nids abandonnés pourrissent.Que sont devenus nos berceaux ?De leur bois les vers se nourrissent.Le mien traîne au fond des greniers,L’oubli morne et lent le dévore ;Je l’embrasserais volontiers,Car mon enfance y rit encore.C’est là que...
Quand j’étais tout enfant, ma boucheIgnorait un langage appris :Du fond de mon étroite coucheJ’appelais les soins par des cris ;Ma peine était la peur cruelleDe perdre un jouet dans mes draps,Et ma convoitise était celleQui supplie en tendant les...
IÔ Mémoire, qui joins à l’heureLa chaîne des temps révolus,Je t’admire, étrange demeureDes formes qui n’existent plus !En vain tombèrent les grands hommesAux fronts pensifs ou belliqueux :Ils se lèvent quand tu les nommes,Et nous conversons avec eux ;Et si...
Ici-bas tous les lilas meurent,Tous les chants des oiseaux sont courts ;Je rêve aux étés qui demeurent Toujours…Ici-bas les lèvres effleurentSans rien laisser de leur velours ;Je rêve aux baisers qui demeurent Toujours…Ici-bas tous les hommes pleurentLeurs amitiés ou leurs...
Elle est si douce la penséeQu’il faut, pour en sentir l’attrait,D’une vision commencéeS’éveiller tout à coup distrait.Le cœur dépouillé la réclame ;Il ne la fait point revenir,Et cependant elle est dans l’âme,Et l’on mourrait pour la finir.A quoi pensais-je tout...
À Jules GuiffreyJ’étais mort, j’entrais au tombeauOù mes aïeux rêvent ensemble.Ils ont dit : « La nuit lourde tremble ;Est-ce l’approche d’un flambeau ?« Le signal de la nouvelle èreQu’attend notre éternel ennui ?— Non, c’est l’enfant, a dit mon...
Deux voix s’élèvent tour à tourDes profondeurs troubles de l’âme :La raison blasphème, et l’amourRêve un dieu juste et le proclame.Panthéiste, athée ou chrétien,Tu connais leurs luttes obscures ;C’est mon martyre, et c’est le tien,De vivre avec ces deux murmures.L’intelligence...
A Francisque GerbaultBleus ou noirs, tous aimés, tous beaux,Des yeux sans nombre ont vu l’aurore ;Ils dorment au fond des tombeaux,Et le soleil se lève encore.Les nuits, plus douces que les jours,Ont enchanté des yeux sans nombre ;Les étoiles brillent...
À R. AlbaretNewton, voyant tomber la pomme,Conçut la matière et ses lois :Oh ! surgira-t-il une foisUn Newton pour l’âme de l’homme ?Comme il est dans l’infini bleuUn centre où les poids se suspendent,Ainsi toutes les âmes tendentA leur centre...
À Paul SédilleLa lune est grande, le ciel clairEt plein d’astres, la terre est blême,Et l’âme du monde est dans l’air.Je rêve à l’étoile suprême,À celle qu’on n’aperçoit pas,Mais dont la lumière voyageEt doit venir jusqu’ici-basEnchanter les yeux d’un autre...
À Victor GéruzezQuand j’entends disputer les hommesSur Dieu qu’ils ne pénètrent point,Je me demande où nous en sommes :Hélas ! toujours au même point.Oui, j’entends d’admirables phrases,Des sons par la bouche ennoblis ;Mais les mots ressemblent aux vases :Les plus...
À Alphonse ThéveninJ’ai dans mon cœur, j’ai sous mon frontUne âme invisible et présente :Ceux qui doutent la chercheront ;Je la répands pour qu’on la sente.Partout scintillent les couleurs,Mais d’où vient cette force en elles ?Il existe un bleu dont...
À Maurice de FoucaultLe soleil fut avant les yeux,La terre fut avant les roses,Le chaos avant toutes choses.Ah ! que les éléments sont vieuxSous leurs jeunes métamorphoses !Toute jeunesse vient des morts :C’est dans une funèbre pâteQue, toujours, sans lenteur...
À Alfred DenautC’était au milieu de la nuit,Une longue nuit de décembre ;Le feu, qui s’éteignait sans bruit,Rougissait par moments la chambre.On distinguait des rideaux blancs,Mais on n’entendait pas d’haleine ;La veilleuse aux rayons tremblantsLanguissait dans la porcelaine.Et personne, hélas...
Ces vers que toi seule aurais lus,L’œil des indifférents les tente ;Sans gagner un ami de plusJ’ai donc trahi ma confidente.Enfant, je t’ai dit qui j’aimais,Tu sais le nom de la première ;Sa grâce ne mourra jamaisDans mes yeux qu’avec...
Le meilleur moment des amoursN’est pas quand on a dit : « Je t’aime. »Il est dans le silence mêmeÀ demi rompu tous les jours ;Il est dans les intelligencesPromptes et furtives des cœurs ;Il est dans les feintes rigueursEt...
J’ai mon sérail comme un prince d’Asie, Riche en beautés pour un immense amour ; Je leur souris selon ma fantaisie :J’aime éternellement la dernière choisie, Et je les choisis tour à tour. Ce ne sont pas ces esclaves traîtresses...
L’épouse, la compagne à mon cœur destinée, Promise à mon jeune tourment,Je ne la connais pas, mais je sais qu’elle est née ; Elle respire en ce moment.Son âge et ses devoirs lui font la vie étroite ; Sa chambre...
Je ne devais pas vous le dire ;Mes pleurs, plus forts que la vertu,Mouillant mon douloureux sourire,Sont allés sur vos mains écrireL’aveu brûlant que j’avais tu.Danser, babiller, rire ensemble,Ces jeux ne nous sont plus permis :Vous rougissez, et moi je...
Les jeunes fillesAmis, amis, nous voilà grandes ;Nos jours ont changé de saison.Allez préparer vos offrandes,Allez suspendre les guirlandesÀ la porte de la maison.Elle a sonné, l’heure fataleQu’on tremblait de voir approcher ;Des fleurs que la prairie étaleSemez la route...
Je ne dois plus la voir jamais,Mais je vais voir souvent sa mère ;C’est ma joie, et c’est la dernière,De respirer où je l’aimais.Je goûte un peu de sa présenceDans l’air que sa voix ébranla ;Il me semble que parler...
Vous désirez savoir de moiD’où me vient pour vous ma tendresse ;Je vous aime, voici pourquoi :Vous ressemblez à ma jeunesse.Vos yeux noirs sont mouillés souventPar l’espérance et la tristesse,Et vous allez toujours rêvant :Vous ressemblez à ma jeunesse.Votre tête...
Vous me donniez le bras, nous causions seuls tous deux,Et les cœurs de vingt ans se font signe bien vite ;J’en suis encore ému, fille blonde aux yeux bleus ;Mais vous souviendrez-vous de ma courte visite ?Hélas ! se souvient-on...
Nous recevions sa visite assidue ;J’étais enfant. Jours lointains ! Depuis lorsLa porte est close et la maison vendue :Les foyers vendus sont des morts.Quand j’entendais son pas de demoiselle,Adieu mes jeux ! Courant sur son chemin,J’allais, les yeux levés...
C’est en deuil surtout que je l’aime :Le noir sied à son front poli,Et par ce front le chagrin même Est embelli.Comme l’ombre le deuil m’attire,Et c’est mon goût de préférer,Pour amie, à qui sait sourire Qui peut pleurer.J’aime les...
À une belle EnfantQuand les heures, pour vous prolongeant la sieste,Toutes, d’un vol égal et d’un front différent,Sur vos yeux demi-clos qu’elles vont effleurant,Bercent de leurs pieds frais l’oisiveté céleste,Elles marchent pour nous, et leur bande au pied leste,Dans le...
Ce qui la peut guérir, cette enfant le repousse.« Oui, je l’aime, et j’en souffre, et ma douleur m’est douce, Dit-elle, et j’en veux bien mourir.Sa voix me donne au cœur une vive secousse, Mais j’en tressaille avec plaisir.« Son...
Une enfant de seize ans, belle, et qui, toute franche, Ouvrant ses yeux, ouvrait son cœur,S’est inclinée un jour comme une fleur se penche, Agonisante deux fois blanche Par l’innocence et la langueur.Ne parlez plus du monde à sa mère...
Quand votre bien-aimée est morte,Les adieux vous sont rendus courts ;Sa paupière est close, on l’emporte,Elle a disparu pour toujours.Mais je la vois, ma bien-aimée,Qui sourit sans m’appartenir,Comme une ombre plus animée,Plus présente qu’un souvenir !Et je la perds toute...
Qui peut dire : Mes yeux ont oublié l’aurore ?Qui peut dire : C’est fait de mon premier amour ?Quel vieillard le dira si son cœur bat encore,S’il entend, s’il respire et voit encor le jour ?Est-ce qu’au fond des...
Le premier homme est né, mais il est solitaire.Il se sent l’âme triste en contemplant la terre :« Pourquoi tant de trésors épars de tous côtés,Si je ne peux, dit-il, étreindre ces beautés ?Ni les arbres mouvants, ni les vapeurs...
Lorsque la terre entra dans sa vingtième année,Le premier des printemps couronna son repos,L’air céleste s’emplit d’odeurs de matinée,Et la mer, s’étalant, laissa crouler ses flots.Ce jour-là, dans ta grâce, Ève, tu nous es née.Depuis lors, comme un peuple innombrable...
Ô reine de mes bien-aimées,Apprends que je les ai nomméesDes reines aussi tour à tour ;Chacune est belle et ne ressembleÀ nulle autre, et toutes ensembleTu les as fait pâlir un jour.J’aime toujours plus chaque amante ;Mais plus profondément charmanteChacune...
L’heure où tu possèdes le mieuxMon être tout entier, c’est l’heureOù, faible et ravi, je demeureSous la puissance de tes yeux.Je me mets à genoux, j’appuieSur ton cœur mon front agité,Et ton regard comme une pluieMe verse la sérénité.Car je...
Si j’étais Dieu, la mort serait sans proie,Les hommes seraient bons, j’abolirais l’adieu,Et nous ne verserions que des larmes de joie, Si j’étais Dieu.Si j’étais Dieu, de beaux fruits sans écorcesMûriraient ; le travail ne serait plus qu’un jeu,Car nous...
Des fluides moments nul ne voit le passage,Et le printemps des jours s’éteint comme il est né ;C’est insensiblement, sur le fleuve de l’âge,Qu’à la froide vieillesse un homme est entraîné.Mais je me saurai vieux quand cette chère imageNe me...
Son heureux fiancé l’attend, moi je me cache.Elle vient ; je l’épie, en murmurant tout basCe reproche, le seul que son oubli m’arrache : — Vous ne m’aimiez donc pas ?Les voici tous les deux : ils vont l’un près...
Je ne me plaindrai point. La pâle JalousieRetient sa voix tremblante et pleure un sang muet.Qu’ils vivent de longs jours, heureux sans poésie,Et qu’un amour tranquille habite leur chevet !Qu’il la possède bien, sans l’avoir désirée,Par le droit seul, exempt...
Si je pouvais aller lui dire :« Elle est à vous et ne m’inspirePlus rien, même plus d’amitié ;Je n’en ai plus pour cette ingrate ;Mais elle est pâle, délicate :Ayez soin d’elle par pitié.« Écoutez-moi sans jalousie,Car l’aile de...
Le vers ne nous vient pas à toute heure et partout,Et vous ne savez pas combien l’épreuve est rudeDe mener sans malheur un sonnet jusqu’au boutSur un feuillet d’album impitoyable et prude.Le plus chétif poète aime à chanter debout,Seul, et...
À Madame A. G. de B.J’ai l’âme de l’aiglon dont l’aile vigoureuseFrémit d’impatience aux mains du ravisseur ;Il lui faut le soleil, la vie aventureuse,Un vol indépendant ou le plomb du chasseur.D’un climat sans beaux jours et d’une terre affreuseL’exil...
Il a donc tressailli, votre adoré fardeau !Un petit ange en vous a soulevé son aile,Vous vous êtes parlé ; le berceau blanc l’appelle,Et son image rit dans les fleurs du rideau.Cet enfant sera doux, intelligent et beau,Si chaque âme...
À Charles LassisLe bonheur suit sa pente et ritSans témoins, comme un ruisseau coule :Celui qu’une amante chéritN’en parle jamais à la foule.Ô bruit connu d’un léger pas,Clair baiser d’une bouche rose,Soupir qui ne se note pas,Accent qui n’est ni...
Je revenais du Louvre hier.J’avais parcouru les portiquesOù le chœur des Vénus antiquesSe range gracieux et fier.À ces marbres, divins fossiles,Délices de l’œil étonné,Je trouvais bon qu’il fût donnéDes palais de rois pour asiles.Comme j’allais extasié,Vint à passer une pauvresse...
Les villages sont pleins de ces petites fillesRoses avec des yeux rafraîchissants à voir,Qui jasent en courant sous le toit du lavoir ;Leur enfance joyeuse enrichit leurs guenilles ;Mais elles vont bientôt se courber et s’asseoir,Serves du champ pénible et...
Cette femme a souri quand j’ai passé près d’elle.Sait-elle qui je suis ? Et si j’étais sans foi,Sans honneur, sans amour, sans la moindre étincelleDe cœur ni d’âme ! Elle eût encor souri pour moi…Funeste et ravissante, à l’inconnu qui...
Je ne te raille point, jeune prostituée !Tu vas l’œil provocant, le pied galant et prompt,À travers le sarcasme et l’ignoble huée :Ton immuable rire est plus fort que l’affront.Et moi, je porte au bal le masque de mon front...
Il avait l’âme aride et vaine de sa mère,L’œil froid du dieu voleur qui marche à reculons ;Il promenait sa grâce, insouciante, altière,Et les nymphes disaient : « Quel marbre nous aimons ! »Un jour que cet enfant d’Hermès et...
Depuis que la beauté, laissant tomber ses charmes,N’a plus offert qu’un marbre à mon désir vainqueur ;Depuis que j’ai senti mes plus brûlantes larmes Rejaillir froides à mon cœur ;À présent que j’ai vu la volupté malsaineFléchir tant de beaux...
à henri schneiderLe grand soleil, plongé dans un royal ennui,Brûle au désert des cieux. Sous les traits qu’en silenceIl disperse et rappelle incessamment à lui,Le chœur grave et lointain des sphères se balance.Suspendu dans l’abîme il n’est ni haut ni...
À l’Air, le dieu puissant qui soulève les ondesEt fouette les hivers,À l’Air, le dieu léger qui rend les fleurs fécondesEt sonores les vers,Salut ! C’est le grand dieu dont la robe flottanteFait le ciel animé ;Et c’est le dieu...
Je vais m’asseoir, l’été, devant les plaines vertes,Solitaire, immobile, enchanté de soleil ;Ma mémoire dans l’air par d’insensibles pertesSe vide ; et, comme un sphinx aux prunelles ouvertes,Je dors étrangement, et voici mon sommeil :Ma poitrine s’arrête et plus rien...
Quand la mer eut donné ses perles à ma bouche,Son insondable azur à mon regard charmant,Elle m’a déposée, en laissant à ma coucheSa fraîcheur éternelle et son balancement.Je viens apprendre à tous que nul n’est solitaire,Qu’Iris naît de l’orage et...
Il pleut. J’entends le bruit égal des eaux ;Le feuillage, humble et que nul vent ne berce,Se penche et brille en pleurant sous l’averse ;Le deuil de l’air afflige les oiseaux.La bourbe monte et trouble la fontaine,Et le sentier montre...
À CHARLES DEROSNEToute haleine s’évanouit,La terre brûle et voudrait boire,L’ombre est courte, immobile et noire,Et la grande route éblouit.Seules les abeilles vibrantesÉlèvent leurs bourdonnementsQui semblent, enflés par moments,Des sons de lyres expirantes.On les voit, ivres de chaleur,D’un vol traînant toutes...
à h. chapuSilène boit. Sa tête est molle sur son cou ;Dédaigneux d’un soutien, il s’incline et se cambre,Tend sa coupe en tremblant, lui parle, y goûte l’ambre,Et vante sa sagesse avec un œil de fou.Il laisse au gré de...
Montez, montez, oiseaux, à la fange rebelles, Du poids fatal les seuls vainqueurs !A vous le jour sans ombre et l’air, à vous les ailesQui font planer les yeux aussi haut que les cœurs !Des plus parfaits vivants qu’ait formés...
Ô poète insensé, tu pends un fil de lyre À tout ce que tu vois,Et tu dis : « Penchez-vous, écoutez, tout respire ! » Hélas ! non, c’est ta voix.Les fleurs n’ont pas d’haleine ; un souffle errant qui...
On respire du sel dans l’air,Et la plantureuse campagneTrempe sa robe dans la mer,A Douarnenez en Bretagne.A Douarnenez en Bretagne,Les enfants rôdent par troupeaux ;Ils ont les pieds fins, les yeux beaux,Et sainte Anne les accompagne.Les vareuses sont en haillons,Mais...
Ton sourire infini m’est cherComme le divin pli des ondes,Et je te crains quand tu me grondes, Comme la mer.L’azur de tes grands yeux m’est cher :C’est un lointain que je regardeSans cesse et sans y prendre garde, Un ciel...
a paul colinLe phare sent mourir ses lueurs argentées,Et du golfe arrondi les pentes enchantéesVont se dorer dans l’aube où le regard les perd.Les villages marins dorment. L’Océan vert,Qui n’a pas de sommeil, fait sa grande descente.Il réclame son lit,...
Deux hommes sont montés sur la haute falaise ;Ils ont fermé les yeux pour écouter la mer :« J’entends le paradis pousser des clameurs d’aise.Et moi j’entends gémir les foules de l’enfer. »Alors, épouvantés des songes de l’ouïe,Ils ont rouvert...
L’Océan blesse la pensée :Par la fuite des horizonsElle se sent plus offenséeQue par la borne des prisons ;Et les prisons dans leurs muraillesN’ont bruits de chaînes ni sanglotsPareils au fracas de ferraillesQue font dans les rochers les flots.Il faut...
Au bout du sombre Finistère,D’énormes rochers au pied noirProtègent contre l’eau la terre.On les entend parler le soir :« Hélas ! depuis combien d’annéesBrisons-nous l’onde au même lieu ?Toutes les pierres sont damnées,Les vivants seuls plaisent à Dieu.« Pour qui...
Le long du quai les grands vaisseaux,Que la houle incline en silence,Ne prennent pas garde aux berceauxQue la main des femmes balance.Mais viendra le jour des adieux ;Car il faut que les femmes pleurentEt que les hommes curieuxTentent les horizons...
à émile javalVierge, ton corps, luisant de la fraîcheur marine,Où l’apporta la vague est à peine arrêté.À tes mobiles bras, au pli de ta narineOn devine ta race et ta divinité ;Ô fille de Nérée, on voit que ta poitrineSe...
à louis-xavier de ricardSur un chemin qu’entoure le néant,Dans des pays que nul verbe ne nomme,Chaque astre, mû par des bras de géant,Roule, poussé comme un roc par un homme.Terres sans nombre, étoiles et soleils,Tous, prisonniers d’orbites infinies,Rouges ou bleus,...
Agite, bon cheval, ta crinière fuyante ;Que l’air autour de nous se remplisse de voix !Que j’entende craquer sous ta corne bruyanteLe gravier des ruisseaux et les débris des bois !Aux vapeurs de tes flancs mêle ta chaude haleine,Aux éclairs...
La nuit claire bleuit les feuillages tremblants,Pose un crêpe mouillé sur les roses bruyères,Fait luire les talus comme des linges blancs,Baigne les ravins d’ombre, et d’azur les clairières.Dans son nimbe nacré la lune resplendit,Large et lente, effaçant les profondes étoiles...
à émile perrièreL’humanité fragile a fait ses destinées.Cette race aux pieds blancs, aux tempes satinées,Laboure avec l’espoir d’un immense loisir,Plus grande sans bonheur que son Dieu sans désir.Cette vie éphémère, insatiable et tendre,Qui lui fut imposée, elle a su la...
à adolphe lepleyJ’aime d’un ciel de mai la fraîcheur et la grâce ;Mais, quand sur l’infini mon cœur a médité,Je ne peux pas longtemps affronter de l’espaceLa grandeur, le silence et l’immobilité.Pascal sombre et pieux me rend pusillanime,Il me donne...
Mon corps, vil accident de l’éternel ensemble ;Mon cœur, fibre malade aux souffrantes amours ;Ma raison, lueur pâle où la vérité tremble ;Mes vingt ans, pleurs perdus dans le torrent des jours :Voilà donc tout mon être ! et pourtant...
à joseph de labordeEn ce moment, peut-être, un fils de l’ItalieMaudit l’égalité d’un firmament trop pur ;Il désire la France, où la femme est jolie,Où le vol du nuage égayé un tiède azur.Et moi, je suis en France et je...
Parfois à mon Passé je vais dire à l’oreille :« Je ne suis pas heureux, parlons des premiers jours. »Et le dormeur couché que ma prière éveilleSe dresse avec lenteur en frottant ses yeux lourds.Puis joyeux, rajustant ses printaniers atours,Encore...
Nous marchons : devant nous la poussière se lève,Elle reçoit nos pas et les ensevelit ;Mais l’espace nous suit sans rupture ni trêve :Il sait quel long voyage un seul homme accomplit.Tant de pieds ont déjà foulé la même placeQue...
à josé-maria de herediaNotre forme au soleil nous suit, marche, s’arrête,Imite gauchement nos gestes et nos pas,Regarde sans rien voir, écoute et n’entend pas,Et doit ramper toujours quand nous levons la tête.A son ombre pareil, l’homme n’est ici-basQu’un peu de...
à françois milletQue voit-on dans ce champ de pierres ?Un paysan souffle, épuisé ;Le hâle a brûlé ses paupières ;Il se dresse, le dos brisé ;Il a le regard de la bêteQui, dételée enfin, s’arrêteEt flaire, en allongeant la tête,Son...
impressionEn place pour le chaud quadrille !En avant l’ivrogne et la fille !Qu’on se désarticule et qu’on se déshabille !Car l’homme est l’être le plus beau,Le seul dont l’âme espère et se dise immortelle,Le seul qui lève sa semelleA la...
à léon renaultOn dit qu’importuné dans la paix de sa glaceLe mont Blanc voit gravir tous les ans sa paroiPar des aventuriers pleins d’orgueil et d’effroi,Et la foule murmure : « A quoi bon cette audace ? »Là, dans l’éternité,...
Tu veux toi-même ouvrir ta tombe :Tu dis que sous ta lourde croixTon énergie enfin succombe ;Tu souffres beaucoup, je te crois.Le souci des choses divinesQue jamais tes yeux ne verrontTresse d’invisibles épinesEt les enfonce dans ton front.Tu répands ton...
Pour vivre indépendant et fortJe me prépare au suicide ;Sur l’heure et le lieu de ma mortJe délibère et je décide.Mon cœur à son hardi désirTour à tour résiste et succombe :J’éprouve un surhumain plaisirA me balancer sur ma tombe.Je...
à alfred ruffinC’est, à peu près, Montmartre, en été, les dimanchesJérusalem rayonne au loin ;Les gibets sont bien droits sur des dalles bien blanches ;Le brin d’herbe est fait avec soin ;Un fort joli sentier conduit à la montagne,Ceux-ci viennent,...
Tu seras éternellement,Qu’on te nomme esprit ou matière ;Cette vie est un court momentDe l’existence tout entière.Prends une pierre et brise-la,Prends les morceaux, mets-les en poudre :La même pierre est toujours là,Tu ne peux rien que la dissoudre ;Livre ton...
Ce qui nous épuise et nous tue,C’est moins l’objet que le désir :C’est la beauté de la statue,La beauté qu’on ne peut saisir ;La vérité qui se dérobe ;L’amour au cœur qui brûle seul ;La vertu dont la froide robeA...
Quand chaque nuit d’ardente veilleAvancerait d’un jour ma mort,Ma volonté serait pareilleD’ébranler le cœur par l’oreille,Et je mourrais dans un accord.J’ai bien payé dans ma journéeLe tribut des bras au labour ;La nuit change ma destinée,Et dans mon âme illuminéeSeul...
à georges lafenestreQuand le jeune cheval vient de quitter sa mère,Parce qu’il a senti l’horizon l’appeler,Qu’il entend sous ses pieds le beau son de la terre,Et qu’on voit au soleil ses crins étinceler,Dans le vent qui lui parle il agite...
O vénérable Nuit, dont les urnes profondesDans l’espace infini versent tranquillementUn long fleuve de nacre et des millions de mondes, Et dans l’homme un divin calmant,Tu berces l’univers, et ton grand deuil ressembleA celui d’une veuve exercée aux douleurs,Qui pense...
à amédée durandeLES VIEILLARDSCe sont eux ! j’ai posé l’oreille contre terreLes bruits sourds qu’on entend sont des pas de chevaux ;Que le jeune soldat se rappelle son père,Et que l’ancien s’apprête à des combats nouveaux !Que nul de vous...
à étienne carjatIls tombent épuisés ; la bataille était rude.Près d’un fleuve, au hasard, sur le dos, sur le flanc,Ils gisent, engourdis par tant de lassitudeQu’ils sont bien, dans la boue et dans leur propre sangLeurs grandes faux sont là,...
a georges guéroultISix percherons égaux, blancs et nourris d’avoine,Traînaient un chêne entier dont les cimes pendaient,Et les larges pavés du faubourg Saint-AntoineA chaque tour de roue en remuant grondaient.Les feuilles bruissaient et balayaient la rueDans un flot de poussière ;...
à gaston prudhomme de la pèrelleILa nuit dans le désert vient à pas lents s’asseoirAvec sa robe d’ombre et son bandeau d’étoiles ;Elle rafraîchit l’air en balançant ses voiles,L’herbe fume et l’Asie est comme un encensoir.C’est l’heure du lion. Sur...
Quand l’arche s’arrêta, du linceul gris des ondesS’éleva lentement la terre d’aujourd’hui ;Mais Dieu la divisa cette fois en deux mondes,Une moitié pour nous, l’autre moitié pour lui.Il nous livra l’Europe et l’Asie et l’Afrique,Du Nil au Borysthène et de...
IO Voluptés, salut ! une longue injusticeVous accuse d’emplir les enfers de damnés,Fait sonner votre nom comme le nom du viceEt ne l’inscrit jamais que sur des fronts fanés ;Et nous vous bénissons, reines des jeunes hommes ;Si nous rêvons...
à léon chaillouVoix antiques des flots, de la terre et des airs,Écroulements lointains qui suivent les éclairs,Frisson du lourd blé jaune aux taches de pivoines,Chuchotement léger des fuyantes avoines,Clairon des ouragans, fracas des grandes eaux,Respiration vague et molle des roseaux,Élégie...
à gaston parisPROLOGUEQue je puisse à mon gré peupler un panthéonDes plus grands immortels nés de la race humaine !J’aime la grâce attique et la force romaine,Je porterai Lucrèce à droite de Platon.Ces hommes, l’âme haute et la tête baissée,Scrutent...
Vous n’avez pas sondé tout l’Océan de l’âme,O vous qui prétendez en dénombrer les flots !Qui de vous de tout cœur a pu sentir la flammeEt de toute poitrine écouter les sanglots ?Qui de vous a tâté tous les coins...
Tu ne traîneras plus, rêveur mélancolique,Deux talons paresseux sous un corps famélique :Viens ! je t’offre une plume et le coin d’un bureau,Rien ne te manquera…— Qu’au front un numéro.Non ! je n’écris jamais que mon cœur ne s’en mêle...
Ne sauras-tu jamais, misérable poète,Vaincre la lâcheté du rêve et des amours,Au vent du sort contraire accoutumer ta tête,Comme tous les vivants lutter dans la tempête,Ou te croiser les bras sans crier au secours ?A droite, à gauche, vois !...
Poète ! aussi longtemps que marchera la terreDans le vide muet qui n’a pas d’horizon ;Tant que l’homme, implorant un climat salutaire,Sous la grêle et les vents traînera sa maison,Nu, forcé d’inventer le pain, le fer, la flamme,L’art de ne...
à louis bertrandJe me croyais poète et j’ai pu me méprendre,D’autres ont fait la lyre et je subis leur loi ;Mais si mon âme est juste, impétueuse et tendre,Qui le sait mieux que moi ?Oui, je suis mal servi par...