ACTE V - Scène VII



(Arsinoé, Laodice, Cléone)

Arsinoé
La cause de nos maux doit-elle être impunie ?

Laodice
Non, madame ; et, pour peu qu'elle ait d'ambition,
Je vous réponds déjà de sa punition.

Arsinoé
Vous qui savez son crime, ordonnez de sa peine.

Laodice
Un peu d'abaissement suffit pour une reine ;
C'est déjà trop de voir son dessein avorté.

Arsinoé
Dites, pour châtiment de sa témérité,
Qu'il lui faudrait du front tirer le diadème.

Laodice
Parmi les généreux il n'en va pas de même ;
Ils savent oublier quand ils ont le dessus,
Et ne veulent que voir leurs ennemis confus.

Arsinoé
Ainsi qui peut vous croire aisément se contente.

Laodice
Le ciel ne m'a pas fait l'âme plus violente.

Arsinoé
Soulever des sujets contre leur souverain,
Leur mettre à tous le fer et la flamme en la main,
Jusque dans le palais pousser leur insolence,
Vous appelez cela fort peu de violence ?

Laodice
Nous nous entendons mal, madame, et je le voi ;
Ce que je dis pour vous, vous l'expliquez pour moi.
Je suis hors de souci pour ce qui me regarde ;
Et je viens vous chercher pour vous prendre en ma garde,
Pour ne hasarder pas en vous la majesté
Au manque de respect d'un grand peuple irrité.
Faites venir le roi, rappelez votre Attale,
Que je conserve en eux la dignité royale :
Ce peuple en sa fureur peut les connaître mal.

Arsinoé
Peut-on voir un orgueil à votre orgueil égal !
Vous, par qui seule ici tout ce désordre arrive ;
Vous, qui dans ce palais vous voyez ma captive ;
Vous, qui me répondrez au prix de votre sang
De tout ce qu'un tel crime attente sur mon rang,
Vous me parlez encore avec la même audace
Que si j'avais besoin de vous demander grâce !

Laodice
Vous obstiner, madame, à me parler ainsi,
C'est ne vouloir pas voir que je commande ici,
Que, quand il me plaira, vous serez ma victime.
Et ne m'imputez point ce grand désordre à crime :
Votre peuple est coupable, et dans tous vos sujets
Ces cris séditieux sont autant de forfaits :
Mais pour moi, qui suis reine, et qui, dans nos querelles,
Pour triompher de vous, vous ai fait ces rebelles,
Par le droit de la guerre il fut toujours permis
D'allumer la révolte entre ses ennemis :
M'enlever mon époux, c'est vous faire la mienne.

Arsinoé
Je la suis donc, madame, et, quoi qu'il en advienne,
Si ce peuple une fois enfonce le palais,
C'est fait de votre vie, et je vous le promets.

Laodice
Vous tiendrez mal parole, ou bientôt sur ma tombe
Tout le sang de vos rois servira d'hécatombe.
Mais avez-vous encor parmi votre maison
Quelque autre Métrobate ou quelque autre Zenon ?
N'appréhendez-vous point que tous vos domestiques
Ne soient déjà gagnés par mes sourdes pratiques ?
En savez-vous quelqu'un si prêt à se trahir,
Si las de voir le jour, que de vous obéir ?
Je ne veux point régner sur votre Bithynie :
Ouvrez-moi seulement les chemins d'Arménie ;
Et pour voir tout d'un coup vos malheurs terminés,
Rendez-moi cet époux qu'en vain vous retenez.

Arsinoé
Sur le chemin de Rome il vous faut l'aller prendre ;
Flaminius l'y mène, et pourra vous le rendre :
Mais hâtez-vous, de grâce, et faites bien ramer,
Car déjà sa galère a pris le large en mer.

Laodice
Ah ! si je le croyais…

Arsinoé
N'en doutez point, madame.

Laodice
Fuyez donc les fureurs qui saisissent mon âme :
Après le coup fatal de cette indignité,
Je n'ai plus ni respect ni générosité.
Mais plutôt demeurez pour me servir d'otage
Jusqu'à ce que ma main de ses fers le dégage.
J'irai jusque dans Rome en briser les liens,
Avec tous vos sujets, avecque tous les miens ;
Aussi bien Annibal nommait une folie
De présumer la vaincre ailleurs qu'en Italie.
Je veux qu'elle me voie au cœur de ses Etats
Soutenir ma fureur d'un million de bras,
Et sous mon désespoir rangeant sa tyrannie…

Arsinoé
Vous voulez donc enfin régner en Bithynie ?
Et, dans cette fureur qui vous trouble aujourd'hui,
Le roi pourra souffrir que vous régniez pour lui ?

Laodice
J'y régnerai, madame, et sans lui faire injure.
Puisque le roi veut bien n'être roi qu'en peinture,
Que lui doit importer qui donne ici la loi,
Et qui règne pour lui, des Romains ou de moi ?
Mais un second otage entre mes mains se jette.

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