acte III - Scène VIII



(Arsinoé, Attale)

Arsinoé
Nous triomphons, Attale ; et ce grand Nicomède
Voit quelle digne issue à ses fourbes succède.
Les deux accusateurs que lui-même a produits,
Que pour l'assassiner je dois avoir séduits,
Pour me calomnier subornés par lui-même,
N'ont su bien soutenir un si noir stratagème :
Tous deux m'ont accusée, et tous deux avoué
L'infâme et lâche tour qu'un prince m'a joué.
Qu'en présence des rois les vérités sont fortes !
Que pour sortir d'un cœur elles trouvent de portes !
Qu'on en voit le mensonge aisément confondu !
Tous deux voulaient me perdre, et tous deux l'ont perdu.

Attale
Je suis ravi de voir qu'une telle imposture
Ait laissé votre gloire et plus grande et plus pure ;
Mais pour l'examiner, et bien voir ce que c'est,
Si vous pouviez vous mettre un peu hors d'intérêt,
Vous ne pourriez jamais, sans un peu de scrupule,
Avoir pour deux méchants une âme si crédule.
Ces perfides tous deux se sont dits aujourd'hui,
Et subornés par vous, et subornés par lui.
Contre tant de vertus, contre tant de victoires,
Doit-on quelque croyance à des âmes si noires ?
Qui se confesse traître est indigne de foi.

Arsinoé
Vous êtes généreux, Attale, et je le voi ;
Même de vos rivaux la gloire vous est chère.

Attale
Si je suis son rival, je suis aussi son frère :
Nous ne sommes qu'un sang ; et ce sang, dans mon cœur,
A peine à le passer pour calomniateur.

Arsinoé
Et vous en avez moins à me croire assassine,
Moi, dont la perte est sûre à moins que sa ruine ?

Attale
Si contre lui j'ai peine à croire ces témoins,
Quand ils vous accusaient je les croyais bien moins.
Votre vertu, madame, est au-dessus du crime :
Souffrez donc que pour lui je garde un peu d'estime.
La sienne dans la cour lui fait mille jaloux,
Dont quelqu'un a voulu le perdre auprès de vous ;
Et ce lâche attentat n'est qu'un trait de l'envie
Qui s'efforce à noircir une si belle vie.
Pour moi, si par soi-même on peut juger d'autrui,
Ce que je sens en moi, je le présume en lui.
Contre un si grand rival j'agis à force ouverte,
Sans blesser son honneur, sans pratiquer sa perte ;
J'emprunte du secours, et le fais hautement :
Je crois qu'il n'agit pas moins généreusement,
Qu'il n'a que les desseins où sa gloire l'invite,
Et n'oppose à mes vœux que son propre mérite.

Arsinoé
Vous êtes peu du monde, et savez mal la cour.

Attale
Est-ce autrement qu'en prince on doit traiter l'amour ?

Arsinoé
Vous le traitez, mon fils, et parlez en jeune homme.

Attale
Madame, je n'ai vu que des vertus à Rome.

Arsinoé
Le temps vous apprendra, par de nouveaux emplois
Quelles vertus il faut à la suite des rois.
Cependant, si le prince est encor votre frère,
Souvenez-vous aussi que je suis votre mère ;
Et, malgré les soupçons que vous avez conçus,
Venez savoir du roi ce qu'il croit là-dessus…

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