ACTE II - Scène II



(Prusias, Nicomède, Araspe)

Prusias
Vous voilà, prince ! Et qui vous a mandé ?

Nicomède
La seule ambition de pouvoir en personne
Mettre à vos pieds, seigneur, encore une couronne,
De jouir de l'honneur de vos embrassements,
Et d'être le témoin de vos contentements.
Après la Cappadoce heureusement unie
Aux royaumes du Pont et de la Bithynie,
Je viens remercier et mon père et mon roi
D'avoir eu la bonté de s'y servir de moi,
D'avoir choisi mon bras pour une telle gloire,
Et fait tomber sur moi l'honneur de sa victoire.

Prusias
Vous pouviez vous passer de mes embrassements,
Me faire par écrit de tels remerciements ;
Et vous ne deviez pas envelopper d'un crime
Ce que votre victoire ajoute à votre estime.
Abandonner mon camp en est un capital,
Inexcusable en tous et plus au général ;
Et tout autre que vous, malgré cette conquête,
Revenant sans mon ordre eût payé de sa tête.

Nicomède
J'ai failli, je l'avoue ; et mon cœur imprudent
A trop cru les transports d'un désir trop ardent :
L'amour que j'ai pour vous a commis cette offense ;
Lui seul à mon devoir fait cette violence.
Si le bien de vous voir m'était moins précieux,
Je serais innocent, mais si loin de vos yeux,
Que j'aime mieux, seigneur, en perdre un peu d'estime,
Et qu'un bonheur si grand me coûte un petit crime,
Qui ne craindra jamais la plus sévère loi,
Si l'amour juge en vous ce qu'il a fait en moi.

Prusias
La plus mauvaise excuse est assez pour un père,
Et sous le nom d'un fils toute faute est légère :
Je ne veux voir en vous que mon unique appui.
Recevez tout l'honneur qu'on vous doit aujourd'hui.
L'ambassadeur romain me demande audience :
Il verra ce qu'en vous je prends de confiance ;
Vous l'écouterez, prince, et répondrez pour moi.
Vous êtes aussi bien le véritable roi,
Je n'en suis plus que l'ombre, et l'âge ne m'en laisse
Qu'un vain titre d'honneur qu'on rend à ma vieillesse,
Je n'ai plus que deux jours peut-être à le garder.
L'intérêt de l'Etat vous doit seul regarder ;
Prenez-en aujourd'hui la marque la plus haute :
Mais gardez-vous aussi d'oublier votre faute ;
Et comme elle fait brèche au pouvoir souverain,
Pour la bien réparer retournez dès demain.
Remettez en éclat la puissance absolue ;
Attendez-la de moi comme je l'ai reçue,
Inviolable, entière ; et n'autorisez pas
De plus méchants que vous à la mettre plus bas.
Le peuple qui vous voit, la cour qui vous contemple,
Vous désobéiraient sur votre propre exemple.
Donnez-leur-en un autre, et montrez à leurs yeux
Que nos premiers sujets obéissent le mieux.

Nicomède
J'obéirai, seigneur, et plus tôt qu'on ne pense ;
Mais je demande un prix de mon obéissance.
La reine d'Arménie est due à ses Etats,
Et j'en vois les chemins ouverts par nos combats.
Il est temps qu'en son ciel cet astre aille reluire ;
De grâce, accordez-moi l'honneur de l'y conduire.

Prusias
Il n'appartient qu'à vous ; et cet illustre emploi
Demande un roi lui-même ou l'héritier d'un roi.
Mais pour la renvoyer jusqu'en son Arménie
Vous savez qu'il y faut quelque cérémonie ;
Tandis que je ferai préparer son départ,
Vous irez dans mon camp l'attendre de ma part.

Nicomède
Elle est prête à partir sans plus grand équipage.

Prusias
Je n'ai garde à son rang de faire un tel outrage.
Mais l'ambassadeur entre, il le faut écouter ;
Puis nous verrons quel ordre on y doit apporter.

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