ACTE V - Scène I



(Arsinoé, Attale)

Arsinoé
J'ai prévu ce tumulte et n'en vois rien a craindre ;
Comme un moment l'allume, un moment peut l'éteindre ;
Et si l'obscurité laisse croître ce bruit,
Le jour dissipera les vapeurs de la nuit.
Je me fâche bien moins qu'un peuple se mutine,
Que de voir que ton cœur dans son amour s'obstine,
Et, d'une indigne ardeur lâchement embrasé,
Ne rend point de mépris à qui t'a méprisé.
Venge-toi d'une ingrate, et quitte une cruelle.
A présent que le sort t'a mis au-dessus d'elle,
Son trône, et non ses yeux, avait dû te charmer.
Tu vas régner sans elle ; à quel propos l'aimer ?
Porte, porte ce cœur à de plus douces chaînes.
Puisque te voilà roi, l'Asie a d'autres reines,
Qui, loin de te donner des rigueurs à souffrir,
T'épargneront bientôt la peine de t'offrir…

Attale
Mais, madame…

Arsinoé
Hé bien ! soit, je veux qu'elle se rende :
Prévois-tu les malheurs qu'ensuite j'appréhende ?
Sitôt que d'Arménie elle t'aura fait roi,
Elle t'engagera dans sa haine pour moi.
Mais, ô dieux ! pourra-t-elle y borner sa vengeance ?
Pourras-tu dans son lit dormir en assurance ?
Et refusera-t-elle à son ressentiment
Le fer ou le poison pour venger son amant ?
Qu'est-ce qu'en sa fureur une femme n'essaie ?

Attale
Que de fausses raisons pour me cacher la vraie !
Rome, qui n'aime pas à voir un puissant roi,
L'a craint en Nicomède, et le craindrait en moi.
Je ne dois plus prétendre à l'hymen d'une reine,
Si je ne veux déplaire à notre souveraine ;
Et puisque la fâcher ce serait me trahir,
Afin qu'elle me souffre il vaut mieux obéir.
Je sais par quels moyens sa sagesse profonde
S'achemine à grands pas à l'empire du monde :
Aussitôt qu'un Etat devient un peu trop grand,
Sa chute doit guérir l'ombrage qu'elle en prend.
C'est blesser les Romains que faire une conquête,
Que mettre trop de bras sous une seule tête ;
Et leur guerre est trop juste après cet attentat
Que fait sur leur grandeur un tel crime d'Etat.
Eux qui pour gouverner sont les premiers des hommes
Veulent que sous leur ordre on soit ce que nous sommes,
Veulent sur tous les rois un si haut ascendant
Que leur empire seul demeure indépendant.
Je les connais, madame, et j'ai vu cet ombrage
Détruire Antiochus et renverser Carthage.
De peur de choir comme eux, je veux bien m'abaisser
Et cède à des raisons que je ne puis forcer :
D'autant plus justement mon impuissance y cède,
Que je vois qu'en leurs mains on livre Nicomède :
Un si grand ennemi leur répond de ma foi.
C'est un lion tout prêt à déchaîner sur moi.

Arsinoé
C'est de quoi je voulais vous faire confidence.
Mais vous me ravissez d'avoir cette prudence.
Le temps pourra changer ; cependant prenez soin
D'assurer des jaloux dont vous avez besoin.

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