Scène XIII



(BALIVET , PUIS VEAULUISANT)

BALIVET(seul. )
Ouf ! c'est complet ! j'arrive à l'Église ! avec mon marmot dans les bras, je me sens taper dans le dos par un monsieur qui me demande le chemin. Je me retourne. C'était mon patron qui s'écrie : "Mais ! j'ai vu cette tête-là quelque part ! " Je pousse un cri, je le bouscule - il me rattrape par le pan de ma robe… craque… le morceau lui reste dans la main… Je détale et me voilà. Ah ! je suis dans un joli pétrin ! Enfin ! est-ce que je vais rester nourrice jusqu'à la fin de mes jours ? Avec cela, le petit va s'apercevoir que je ne le suis pas. Il va me trahir !

VEAULUISANT(entrant, survenant de droite ; il est en pantalon et gilet. )
Sapristi ! ma boucle a craqué ! Hein ! Blanquette ? Comment êtes-vous déjà rentrée ?

BALIVET
Ah ! voilà ! c'est… c'est l'orage, Monsieur.

VEAULUISANT
L'orage ! il fait un temps superbe !

BALIVET
Ici, oui… mais sur la place de l'Église ! vous ne pouvez pas voir d'ici… ça tombe ! oh ! ça tombe !

VEAULUISANT
Il pleut ?

BALIVET
A verse, Monsieur. Des hallebardes ! grosses comme des petits pois !

VEAULUISANT
C'est très curieux ! mais il ne s'agit pas de cela : maintenant que vous avez promené le petit, vous n'êtes plus nourrice.

BALIVET
Ah ! enfin !

VEAULUISANT
Vous devenez femme de chambre !

BALIVET
Femme de chambre !

VEAULUISANT
Oui, vous allez me recoudre la boucle de mon pantalon : en mettant mes bottines qui ne voulaient pas entrer… j'ai tiré… j'ai fait : "Ouf ! " et ma boucle a craqué.

BALIVET(à part. )
Comment, il va falloir recoudre maintenant ?

VEAULUISANT
Tenez ! là ! sur la cheminée ! vous trouverez des aiguilles et du fil…

BALIVET(ahuri. )
Ah ! je trouverai ! (à part)
Diable ! Diable ! Diable ! Diable ! Diable ! Tenez ! prenez-moi donc le petit ! ne le remuez pas trop ! car il dort !
(p. 2 à la cheminée)

VEAULUISANT(prend l'enfant. )
Il ronfle même ! quelle précocité ! Ah ! ce sera un grand homme ! Eh bien ! trouvez-vous ?

BALIVET(cherchant à enfiler son aiguille)
Oui, voilà… seulement c'est pour enfiler : je vois double et je mets entre…

VEAULUISANT(prenant le fil et l'aiguille, donne l'enfant)
Allons ! donnez-moi ça ! Cela me connaît ! Ah ! mon Dieu ! Qu'est-ce qu'il est donc arrivé à votre robe ?

BALIVET(à part, avec l'enfant)
Sapristi ! (haut)
Oui, vous voyez… c'est ma robe…

VEAULUISANT
Parbleu ! je le vois bien que c'est votre robe ! mais cela ne m'explique pas…

BALIVET
Qu'il en manque une partie ? Eh bien !… Voilà ! j'ai rencontré un pauvre qui demandait l'aumône… peu vêtu… alors, j'ai fait comme saint Martin, je lui ai donné la moitié de ma robe…

VEAULUISANT
Oui ! il s'en fera un caleçon !… Ah ! tenez ! voilà votre aiguille ! (s'assied à gauche)
Maintenant, recousez-moi cela… (reprenant l'enfant)
.

BALIVET
Cela serait plus commode si vous étiez debout.

VEAULUISANT
Ah ! c'est que le petit m'éreinte les bras.

BALIVET
Après tout, cela m'est égal. (Il coud la boucle)
.

VEAULUISANT(assis. )
Bien fort, n'est-ce pas ? Cela craque tout le temps ! Aïe ! vous me piquez !

BALIVET
Ne faites pas attention ! c'est la pointe !

VEAULUISANT
Ne faites pas attention ! ne faites pas attention ! Aïe ! Comment, encore ! mais ah ! ça ! vous ne savez donc pas coudre ?

BALIVET(à part. )
Dame ! on ne nous apprend pas ça à l'Etude !

VEAULUISANT
Eh bien ! Voyons ! ça y est-il ?

BALIVET
Cela y est : et je vous promets que cela tiendra !

VEAULUISANT
Merci ! (il se lève. Balivet qui a mis la boucle a trouvé moyen d'y prendre le barreau de la chaise, si bien que la chaise de Veauluisant reste attachée à V)
. Ah ! mon Dieu ! qu'est-ce qui me tire dans le dos ?

BALIVET
Sapristi ! Je vous ai cousu à la chaise !

VEAULUISANT(se tourne. )
Triple buse, va ! C'est que cela tient (à Balivet, lui donnant l'enfant)
mais prenez-moi donc Nestor…

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