Scène V
(JUSTINE , BALIVET)
BALIVET(entrant par le fond, une serviette dans les bras - il est tout ruisselant d'eau - il a des couches d'enfant plaquées sur son pantalon. )
Sapristi ! Je suis trempé ! Vous m'avez passé au bleu.
JUSTINE(rit.)
Ah ! ah ! il a une bonne tête ! Croyez que je suis désolée…
BALIVET
Çà ne sera rien… (retirant les couches de son pantalon.)
Mais qu'est-ce que c'est que çà ?
JUSTINE
Ce sont les mouchoirs du petit.
BALIVET
Hein… Des couches !
JUSTINE
Ah ! immaculées ! Soyez tranquille ! Mais je n'en reviens pas ! Vous ici. Ah ! çà, je vous retrouverai donc partout.
BALIVET
Partout ! belle nourrice ! Vous l'avez dit : partout.
JUSTINE
Et comment avez-vous découvert…
BALIVET(mettant machinalement les couches dans sa poche. )
Votre retraite ? Ah ! voilà ! C'est le hasard qui a tout fait. Vous savez que je suis clerc de notaire ! Il ne faut pas confondre. Il y a les clercs d'avoués, les clercs d'huissiers.
JUSTINE
Il y a aussi les cléricaux
BALIVET
Parfaitement ! Il y a même les clairs de lune, mais cela n'a pas de rapport. Eh ! bien, moi, je suis clerc de notaire.
JUSTINE
Oui, enfin, vous êtes clerc, c'est clair !… Vous n'avez pas froid ?
BALIVET
Non, cela sèche ! Donc, comme clerc de notaire, j'ai été envoyé à Courbevoie pour faire un inventaire chez une cocotte que l'on veut saisir. Vous savez ce que c'est d'être saisi ?
JUSTINE
Oh ! Monsieur Balivet, vous n'êtes pas convenable !
BALIVET
T'es bête ! Etre saisie, cela veut dire… être saisie. Saisissez-vous ?
JUSTINE
Ah ! très bien !… fallait donc le dire.
BALIVET
Tiens ! je croyais vous l'avoir dit ! Enfin, cet inventaire doit être fait sans retard, car les cocottes… cela déménage à la cloche de bois… Je passais donc devant la grille, me rendant chez cette dame… J'ai entendu votre voix ; je me suis dit : "C'est elle !"; je n'ai fait qu'un bond ! Je me suis faufilé jusqu'ici, et je suis arrivé juste à temps…
JUSTINE
Pour recevoir le baquet
BALIVET
Ah ! il m'a paru doux, lancé par la main des grâces.
JUSTINE
Ah ! bien, dites donc pas plus grasse que vous !
BALIVET
Atchum ! Pristi, cela perce.
JUSTINE
Tiens, vous vous enrhumez.
BALIVET
Oui… oui… je… Atchum ! Ah ! Dieu me bénisse ! Merci.
JUSTINE
Comment ? Dieu vous bénisse !
BALIVET
Oui, quand on ne me le dit pas, je me le dis moi-même. Atchum ! Ah ! encore !
JUSTINE
Eh bien, à vos souhaits !
BALIVET
A mes souhaits, as-tu dit ?
JUSTINE
Eh bien, oui. Est-ce que j'ai dit quelque chose de mal ?
BALIVET
A mes souhaits. Sais-tu quels sont mes souhaits ? Je veux t'avoir à moi tout seul, le matin, le soir, la nuit, le jour, à midi, à une heure et tout le reste du temps. Hein ! qu'en dis-tu ?
JUSTINE
Je dis… Je dis que vous seriez collant.
BALIVET
Comme un maillot… Mais d'un collant agréable ! Car tu serais aimée ! Tu es jeune, tu es belle, tu es nourrice.
JUSTINE
Nourrice ! Mais vous n'avez plus besoin d'être nourri, je suppose.
BALIVET
Oh ! Si ! Qu'est-ce que tu veux ? Chacun a un type, n'est-ce-pas ? J'aime les nourrices ! En amour, je suis spécialiste. D'abord, les nourrices, c'est moins cher que les cocottes, et je raffole de ces femmes là ! Atchum ! Dieu me bénisse ! Merci.
JUSTINE
Il n'y a pas de quoi !
BALIVET(parlant du nez. )
Ah ! Si bous bouliez !
JUSTINE
Mouchez-vous donc !
BALIVET
Berci - Je n'ai pas embie.
JUSTINE
Si, tout de même !
BALIVET(tirant une couche de sa poche. )
C'est bien bour vous faire plaisir ! (Se mouchant et rejetant la couche.)
Ah ! pouah ! les couches ! Ah ! Si bous bouliez.
JUSTINE(l'imitant… )
Eh bien ! Quoi ! Si je boulais ?
BALIVET
Bous biendriez avec moi. Atchum ! Dieu be bénisse ! Berci. Bous biendriez à Paris ! Je bous ferais. Je bous ferais. -
JUSTINE(plaisantant. )
Qu'est-ce que vous boufferiez, gourmand !
BALIVET
Don ! je bous ferais une très belle situation. Je n'ai pas de fortune, bais, bais…
JUSTINE
Il fait le mouton maintenant. Quel drôle de clerc !
BALIVET
Bais je gagne 45 francs par bois, à bon étude.
JUSTINE
45 francs !
BALIVET
Un bot, un geste, et la boitié est à bous.
JUSTINE
La moitié ? 22,50 francs, qu'est-ce que vous voulez que je fasse de cela ?
BALIVET
Bous refusez la fortune.
JUSTINE
Mais certainement ! Et si vous m'en croyez, vous allez filer au plus vite, car les maîtres n'auraient qu'à vous pincer.
MÉDARD(paraît au fond. )
Un homme ! Ah ! canaille ! attends un peu… (il sort en courant vers la droite.)
JUSTINE
Ah ! mon Dieu, Médard !
BALIVET
Bédard ! Qui ça, Bédard ?
JUSTINE
Le domestique !… Partez !
VOIX DE MÉDARD
Une arme… un fusil !
BALIVET
Un fusil ? Pour quoi faire ?
JUSTINE
Mais pour vous tuer !
BALIVET(bondissant. )
Be tuer !…
JUSTINE
Il a juré la mort à tous ceux qui me font la cour ! Il est terrible ! C'est un Corse.
BALIVET
Un Corse !… Boi qui suis justement bal abec la Corse !… Je file.
JUSTINE
Boui ! Debêchez-vous ! Allons bon ! Voilà que je parle comme lui.
BALIVET(qui a couru au fond pour s'enfuir, s'arrêtant brusquement. )
Sapristi ! le voilà ! (se précipitant dans la chambre de Justine.)
Ah ! ici ! (pan coupé gauche.)
JUSTINE(le suivant. )
Hein ! Dans ma chambre ! Mais c'est ma chambre ! Monsieur Balivet ! Ah ! Bien oui, il est déjà sous le lit : il ne manquait plus que cela. Si on le trouve chez moi, cela va encore faire des histoires. (apercevant Médard et Veauluisant qui entrent)
Bon ! les voilà !