Scène première
(Un salon. Porte du fond donnant sur un jardin - à droite et à gauche en pans coupés - à droite 1er plan, idem à gauche. Idem à gauche, une cheminée. Entre la porte du fond et celle du pan coupé de droite, un placard. MÉDARD , JUSTINE)
MÉDARD(sortant de droite 1er plan. )
Le café ? il chauffe, Monsieur, je vais le surveiller !
JUSTINE(entrant du fond, un baquet plein de linge dans les bras. )
Ouf ! je suis éreintée ! Quel métier ! (laisse tomber son baquet.)
MÉDARD
Justine… qu'est-ce que vous avez ?
JUSTINE
Ah ! quelque chose de propre que les enfants ! J'en suis à la sixième couche.
MÉDARD
A votre âge !…Quelle fécondité !…
JUSTINE
Imbécile ! je vous parle des couches des enfants que j'ai soignés…
MÉDARD
A la bonne heure ! je me disais… six enfants ! Vous seriez déjà proposée pour la pension du Gouvernement.
JUSTINE
Tu peux y compter !… Ah ! c'est égal ! C'est une fichue maison que celle d'Anatole et d'Adèle.
MÉDARD
Qui ça, Anatole et Adèle ?
JUSTINE
Eh bien, M. et Mme Veauluisant, parbleu - nos maîtres - ils ne se contentent pas de me prendre pour nourrice - il faut encore qu'ils me fichent un moutard sur les bras…
MÉDARD
Dame ! Comme nourrice !… à moins que ce ne soit pour nourrir Monsieur.
JUSTINE
Tiens, il ne s'embêterait pas.
MÉDARD
Oui, mais enfin, c'est pour le petit Nestor - Nestor ! a-t-on idée d'appeler son fils comme ça !
JUSTINE
Monsieur prétend que c'est pour qu'il soit sage de bonne heure. Ah ! en voilà un qu'il aurait bien dû laisser dans son chou, il vous donne un tintouin… il faut rincer du matin au soir. Si encore on avait quelques compensations ! A Paris, ça pourrait aller… mais à Courbevoie…
MÉDARD
Mon Dieu ! je reconnais que Courbevoie n'est pas du dernier follichon… ça ne vaut pas la Reine Blanche… mais c'est très distingué.
JUSTINE
Oh ! oui… un trou ! aussi c'est de votre faute à vous, si nous avons quitté Paris… Pourquoi avez- vous été raconter à Monsieur que vous aviez vu un pompier dans ma chambre ?
MÉDARD
Pourquoi ? Mais par jalousie ! Vous savez bien que je me consume pour vous !
JUSTINE(à part.)
Vraiment !
MÉDARD
Voyons, pourquoi recevez-vous des pompiers ?
JUSTINE
D'abord, il était médaillé - et puis c'est pour me rappeler mon mari qui est pompier dans son village
MÉDARD
Oh ! alors, si c'est par amour conjugal - je vous passe le pompier - mais il n'est pas seul : Monsieur vous a rencontré avec un jeune homme au Luxembourg. Vous n'allez pas me dire que c'est un pompier, celui-là - comme votre mari.
JUSTINE
Non, mais il me le rappelait tout de même, à cause de son sexe.
MÉDARD
Son sexe - son sexe - mais j'en suis aussi - vous auriez pu penser à moi, alors… Enfin ? qu'est-ce que c'était que ce jeune homme ?
JUSTINE
Vous dire son nom ! je ne compromets jamais les hommes ! C'était un nommé Balivet, un clerc de notaire.
MÉDARD
Et il vous aime…
JUSTINE
S'il m'aime ! je ne peux pas m'en débarrasser… Je le retrouve partout ! Mais du reste, qu'est-ce que ça vous fait ?
MÉDARD
Qu'est-ce que ça me fait ? Ah ! on voit bien que vous ne me connaissez pas : je suis Corse, moi !
JUSTINE
Vous ?
MÉDARD
C'est-à-dire pas moi ! Mais j'ai mon parrain qui l'est, et si jamais je rencontre ce lapin-là…
JUSTINE
Vous croyez que c'est un lapin ?
MÉDARD
C'est un lapin. Eh bien ! si jamais je rencontre ce lapin roucoulant auprès de vous, je le tue comme un moineau.
JUSTINE
Comme un moineau ! Mon lapin ! Pauvre chien ! mais je vous le défends ! Enfin, a-t-on jamais vu ! Pourquoi vous mêlez-vous toujours des affaires des autres ! Comme s'il ne suffisait pas de m'avoir déjà brouillée avec les maîtres !
MÉDARD
Je vous ai brouillée, moi ?
JUSTINE
Oui ! vous ! Grâce à vos commérages, ils ne sont plus à prendre avec des pincettes. Je les ai tout le temps sur le dos, sous prétexte qu'il y a de la garnison dans les environs.
MÉDARD
Monsieur craint le Mont Valérien… et il a raison.
JUSTINE
Oui, mais Dieu merci ! tout cela va finir… Monsieur m'a prévenue qu'il allait chercher une autre nourrice, et j'espère bien qu'avant peu…