Scène V



(MERCURE, APOLLON)

APOLLON
Il a beau dire ; le vent du bureau n'est pas pour lui, et je me défie du succès.

MERCURE
Eh bien ! que vous importe à vous ? Quand son rival reviendrait à la mode, vous n'en inspirerez pas moins ceux qui chanteront leurs maîtresses.

APOLLON
Eh ! morbleu ! cela est bien différent ; les chansons ne seront plus si jolies. On ne chantera plus que des sentiments. Cela est bien plat.

MERCURE
Bien plat ! que voulez-vous donc qu'on chante ?

APOLLON
Ce que je veux ? Est-ce qu'il faut un commentaire à Mercure ? Une caresse, une vivacité, un transport, quelque petite action.

MERCURE
Ah ! vous avez raison. Je n'y songeais pas ; cela fait un sujet bien plus piquant, plus animé.

APOLLON
Sans comparaison, et un sujet bien plus à la portée d'être senti. Tout le monde est au fait d'une action.

MERCURE
Oui, tout le monde gesticule.

APOLLON
Et tout le monde ne sent pas. Il y a des cœurs matériels qui n'entendent un sentiment que lorsqu'il est mis sur un canevas bien intelligible.

MERCURE
On ne leur explique l'âme qu'à la faveur du corps.

APOLLON
Vous y êtes ; et il faut avouer que la poésie galante a bien plus de prise en pareil cas. Aujourd'hui, quand j'inspire un couplet de chanson ou quelques autres vers, j'ai mes coudées franches, je suis à mon aise. C'est Philis qu'on attaque, qui combat, qui se défend mal ; c'est un beau bras qu'on saisit ; c'est une main qu'on adore et qu'on baise ; c'est Philis qui se fâche ; on se jette à ses genoux, elle s'attendrit, elle s'apaise ; un soupir lui échappe : Ah ! Sylvandre… Ah ! Philis… Levez-vous, je le veux… Quoi ! cruelle, mes transports… Finissez. Je ne puis. Laissez-moi. Des regards, des ardeurs, des douceurs ; cela est charmant. Sentez-vous la gaieté, la commodité de ces objets-là ? J'inspire là-dessus en me jouant. Aussi n'a-t-on jamais vu tant de poètes.

MERCURE
Et dont la poésie ne vous coûte rien. Ce sont les Philis qui en font tous les frais.

APOLLON
Sans doute. Au lieu que si la tendresse allait être à la mode, adieu les bras, adieu les mains ; les Philis n'auraient plus de tout cela.

MERCURE
Elles n'en seraient que plus aimables, et sans doute plus aimées. Mais laissez-moi recevoir la Vérité qui arrive.

Autres textes de Marivaux

La Surprise de l'Amour

(PIERRE, JACQUELINE.)PIERRETiens, Jacquelaine, t'as une himeur qui me fâche. Pargué ! encore faut-il dire queuque parole d'amiquié aux gens.JACQUELINEMais qu'est-ce qu'il te faut donc ? Tu me veux pour ta...

La Seconde Surprise de l'amour

(LA MARQUISE, LISETTE.)(La Marquise entre tristement sur la scène ; Lisette la suit sans qu'elle le sache.)La Marquise (s'arrêtant et soupirant.)Ah !Lisette (derrière elle.)Ah !La MarquiseQu'est-ce que j'entends là ?...

La Provinciale

(MADAME LÉPINE, LE CHEVALIER, LA RAMÉE)(Ils entrent en se parlant.)MADAME LÉPINEAh ! vraiment, il est bien temps de venir : je n'ai plus le loisir de vous entretenir ; il...

La mère confidente

(DORANTE, LISETTE.)DORANTEQuoi ! vous venez sans Angélique, Lisette ?LISETTEElle arrivera bientôt ; elle est avec sa mère : je lui ai dit que j'allais toujours devant, et je ne me...

La Méprise

FRONTIN, ERGASTE.La scène est dans un jardin.FRONTINJe vous dis, Monsieur, que je l'attends ici, je vous dis qu'elle s'y rendra, que j'en suis sûr, et que j'y compte comme si...


Les auteurs


Les catégories

Médiawix © 2024