ACTE II - SCÈNE III
Clarice, Alcippe.
ALCIPPE
Ah ! Clarice, ah ! Clarice, inconstante ! Volage !
CLARICE
Aurait-il deviné déjà ce mariage ?
Alcippe, qu'avez-vous ? Qui vous fait soupirer ?
ALCIPPE
Ce que j'ai, déloyale ! Et peux-tu l'ignorer ?
Parle à ta conscience, elle devrait t'apprendre…
CLARICE
Parlez un peu plus bas, mon père va descendre.
ALCIPPE
Ton père va descendre, âme double et sans foi !
Confesse que tu n'as un père que pour moi.
La nuit, sur la rivière…
CLARICE
Eh bien ! Sur la rivière ?
La nuit ! Quoi ? Qu'est-ce enfin ?
ALCIPPE
Oui, la nuit toute entière.
CLARICE
Après ?
ALCIPPE
Quoi ! Sans rougir ?
CLARICE
Rougir ! à quel propos ?
ALCIPPE
Tu ne meurs pas de honte, entendant ces deux mots ?
CLARICE
Mourir pour les entendre ! Et qu'ont-ils de funeste ?
ALCIPPE
Tu peux donc les ouïr et demander le reste ?
Ne saurais-tu rougir, si je ne te dis tout ?
CLARICE
Quoi, tout ?
ALCIPPE
Tes passe-temps de l'un à l'autre bout.
CLARICE
Je meure, en vos discours si je puis rien comprendre !
ALCIPPE
Quand je te veux parler, ton père va descendre,
Il t'en souvient alors ; le tour est excellent !
Mais pour passer la nuit auprès de ton galant…
CLARICE
Alcippe, êtes-vous fol ?
ALCIPPE
Je n'ai plus lieu de l'être,
À présent que le ciel me fait te mieux connaître.
Oui, pour passer la nuit en danses et festin,
Être avec ton galant du soir jusqu'au matin(Je ne parle que d'hier)
, tu n'as point lors de père.
CLARICE
Rêvez-vous ? Raillez-vous ? Et quel est ce mystère ?
ALCIPPE
Ce mystère est nouveau, mais non pas fort secret :
Choisis une autre fois un amant plus discret ;
Lui-même il m'a tout dit.
CLARICE
Qui, lui-même ?
ALCIPPE
Dorante.
CLARICE
Dorante !
ALCIPPE
Continue, et fais bien l'ignorante.
CLARICE
Si je le vis jamais, et si je le connais ! …
ALCIPPE
Ne viens-je pas de voir son père avec toi ?
Tu passes, infidèle, âme ingrate et légère,
La nuit avec le fils, le jour avec le père !
CLARICE
Son père, de vieux temps, est grand ami du mien.
ALCIPPE
Cette vieille amitié faisait votre entretien ?
Tu te sens convaincue, et tu m'oses répondre !
Te faut-il quelque chose encore pour te confondre ?
CLARICE
Alcippe, si je sais quel visage a le fils…
ALCIPPE
La nuit était fort noire alors que tu le vis.
Il ne t'a pas donné quatre choeurs de musique,
Une collation superbe et magnifique,
Six services de rang, douze plats à chacun ?
Son entretien alors t'était fort importun ?
Quand ses feux d'artifice éclairaient le rivage,
Tu n'eus pas le loisir de le voir au visage ?
Tu n'as pas avec lui dansé jusques au jour,
Et tu ne l'as pas vu pour le moins au retour ?
T'en ai-je dit assez ? Rougis, et meurs de honte.
CLARICE
Je ne rougirai point pour le récit d'un conte.
ALCIPPE
Quoi ! Je suis donc un fourbe, un bizarre, un jaloux ?
CLARICE
Quelqu'un a pris plaisir à se jouer de vous,
Alcippe ; croyez-moi.
ALCIPPE
Ne cherche point d'excuses ;
Je connais tes détours, et devine tes ruses.
Adieu : suis ton Dorante, et l'aime désormais ;
Laisse en repos Alcippe, et n'y pense jamais.
CLARICE
Écoutez quatre mots.
ALCIPPE
Ton père va descendre.
CLARICE
Non, il ne descend point, et ne peut nous entendre ;
Et j'aurai tout loisir de vous désabuser.
ALCIPPE
Je ne t'écoute point, à moins que m'épouser,
À moins qu'en attendant le jour du mariage,
M'en donner ta parole et deux baisers en gage.
CLARICE
Pour me justifier vous demandez de moi,
Alcippe ?
ALCIPPE
Deux baisers, et ta main, et ta foi.
CLARICE
Que cela ?
ALCIPPE
Résous-toi, sans plus me faire attendre.
CLARICE
Je n'ai pas le loisir, mon père va descendre.