ACTE IV - SCÈNE VII



Cliton, Sabine.

CLITON
Tu vois que les effets préviennent les paroles ;
C'est un homme qui fait litière de pistoles ;
Mais comme auprès de lui je puis beaucoup pour toi…

SABINE
Fais tomber de la pluie, et laisse faire à moi.

CLITON
Tu viens d'entrer en goût.

SABINE
Avec mes révérences,
Je ne suis pas encor si dupe que tu penses.
Je sais bien mon métier, et ma simplicité
Joue aussi bien son jeu que ton avidité.

CLITON
Si tu sais ton métier, dis-moi quelle espérance
Doit obstiner mon maître à la persévérance.
Sera-t-elle insensible ? En viendrons-nous à bout ?

SABINE
Puisqu'il est si brave homme, il faut te dire tout.
Pour te désabuser, sache donc que Lucrèce
N'est rien moins qu'insensible à l'ardeur qui le presse ;
Durant toute la nuit elle n'a point dormi ;
Et si je ne me trompe, elle l'aime à demi.

CLITON
Mais sur quel privilège est-ce qu'elle se fonde,
Quand elle aime à demi, de maltraiter le monde ?
Il n'en a cette nuit reçu que des mépris.
Chère amie, après tout, mon maître vaut son prix.
Ces amours à demi sont d'une étrange espèce ;
Et s'il voulait me croire, il quitterait Lucrèce.

SABINE
Qu'il ne se hâte point, on l'aime assurément.

CLITON
Mais on le lui témoigne un peu bien rudement ;
Et je ne vis jamais de méthodes pareilles.

SABINE
Elle tient, comme on dit, le loup par les oreilles ;
Elle l'aime, et son coeur n'y saurait consentir,
Parce que d'ordinaire il ne fait que mentir.
Hier même elle le vit dedans les Tuileries,
Où tout ce qu'il conta n'était que menteries.
Il en a fait autant depuis à deux ou trois.

CLITON
Les menteurs les plus grands disent vrai quelquefois.

SABINE
Elle a lieu de douter et d'être en défiance.

CLITON
Qu'elle donne à ses feux un peu plus de croyance :
Il n'a fait toute nuit que soupirer d'ennui.

SABINE
Peut-être que tu mens aussi bien comme lui.

CLITON
Je suis homme d'honneur ; tu me fais injustice.

SABINE
Mais dis-moi, sais-tu bien qu'il n'aime plus Clarice ?

CLITON
Il ne l'aima jamais.

SABINE
Pour certain ?

CLITON
Pour certain.

SABINE
Qu'il ne craigne donc plus de soupirer en vain.
Aussitôt que Lucrèce a pu le reconnaître,
Elle a voulu qu'exprès je me sois fait paraître,
Pour voir si par hasard il ne me dirait rien ;
Et s'il l'aime en effet, tout le reste ira bien.
Va-t'en ; et sans te mettre en peine de m'instruire,
Crois que je lui dirai tout ce qu'il lui faut dire.

CLITON
Adieu : de ton côté si tu fais ton devoir,
Tu dois croire du mien que je ferai pleuvoir.

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