Acte troisième - Scène V



Achille, Clytemnestre, Iphigénie, Ériphile, Arcas, Aegine, Doris

ARCAS
Madame, tout est prêt pour la cérémonie.
Le roi près de l'autel attend Iphigénie ;
Je viens la demander. Ou plutôt contre lui,
Seigneur, je viens pour elle implorer votre appui.

ACHILLE
Arcas, que dites-vous ?

CLYTEMNESTRE
Dieux ! que vient-il m'apprendre ?
ARCAS, à Achille.
Je ne vois plus que vous qui la puisse défendre.

ACHILLE
Contre qui ?

ARCAS
Je le nomme et l'accuse à regret.
Autant que je l'ai pu j'ai gardé son secret.
Mais le fer, le bandeau, la flamme est toute prête :
Dût tout cet appareil retomber sur ma tête,
Il faut parler.

CLYTEMNESTRE
Je tremble. Expliquez-vous, Arcas.

ACHILLE
Qui que ce soit, parlez, et ne le craignez pas.

ARCAS
Vous êtes son amant, et vous êtes sa mère :
Gardez-vous d'envoyer la princesse à son père.

CLYTEMNESTRE
Pourquoi le craindrons-nous ?

ACHILLE
Pourquoi m'en défier ?

ARCAS
Il l'attend à l'autel pour la sacrifier.

ACHILLE
Lui !

CLYTEMNESTRE
Sa fille !

IPHIGÉNIE
Mon père !

ÉRIPHILE
Ô ciel ! quelle nouvelle !

ACHILLE
Quelle aveugle fureur pourrait l'armer contre elle ?
Ce discours sans horreur se peut-il écouter ?

ARCAS
Ah, Seigneur ! plût au ciel que je pusse en douter !
Par la voix de Calchas l'oracle la demande ;
De toute autre victime il refuse l'offrande,
Et les dieux, jusque-là protecteurs de Pâris,
Ne nous promettent Troie et les vents qu'à ce prix.

CLYTEMNESTRE
Les dieux ordonneraient un meurtre abominable ?

IPHIGÉNIE
Ciel ! pour tant de rigueur, de quoi suis-je coupable ?

CLYTEMNESTRE
Je ne m'étonne plus de cet ordre cruel
Qui m'avait interdit l'approche de l'autel.
IPHIGÉNIE, à Achille
Et voilà donc l'hymen où j'étais destinée !

ARCAS
Le roi, pour vous tromper, feignait cet hyménée.
Tout le camp même encore est trompé comme vous.

CLYTEMNESTRE
Seigneur, c'est donc à moi d'embrasser vos genoux.
ACHILLE, la relevant
Ah ! Madame !

CLYTEMNESTRE
Oubliez une gloire importune :
Ce triste abaissement convient à ma fortune,
Heureuse si mes pleurs vous peuvent attendrir !
Une mère à vos pieds peut tomber sans rougir.
C'est votre épouse, hélas ! qui vous est enlevée.
Dans cet heureux espoir je l'avais élevée.
C'est vous que nous cherchions sur ce funeste bord,
Et votre nom, Seigneur, l'a conduite à la mort.
Ira-t-elle, des dieux implorant la justice,
Embrasser leurs autels parés pour son supplice ?
Elle n'a que vous seul. Vous êtes en ces lieux
Son père, son époux, son asile, ses dieux.
Je lis dans vos regards la douleur qui vous presse.
Auprès de votre époux, ma fille, je vous laisse.
Seigneur, daignez m'attendre, et ne la point quitter.
À mon perfide époux je cours me présenter.
Il ne soutiendra point la fureur qui m'anime.
Il faudra que Calchas cherche une autre victime ;
Ou, si je ne vous puis dérober à leurs coups,
Ma fille, ils pourront bien m'immoler avant vous.

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