Acte cinquième - Scène III



Clytemnestre, Iphigénie, Eurybate, Aegine, Gardes

CLYTEMNESTRE
Oui, je la défendrai contre toute l'armée.
Lâches, vous trahissez votre reine opprimée !

EURYBATE
Non, Madame, il suffit que vous me commandiez :
Vous nous verrez combattre et mourir à vos pieds.
Mais de nos faibles mains que pouvez-vous attendre ?
Contre tant d'ennemis qui vous pourra défendre ?
Ce n'est plus un vain peuple en désordre assemblé ;
C'est d'un zèle fatal tout le camp aveuglé.
Plus de pitié. Calchas seul règne, seul commande :
La piété sévère exige son offrande.
Le roi de son pouvoir se voit déposséder,
Et lui-même au torrent nous contraint de céder.
Achille, à qui tout cède, Achille à cet orage
Voudrait lui-même en vain opposer son courage.
Que fera-t-il, Madame ? et qui peut dissiper
Tous les flots d'ennemis prêts à l'envelopper ?

CLYTEMNESTRE
Qu'ils viennent donc sur moi prouver leur zèle impie,
En m'arrachant ce peu qui me reste de vie.
La mort seule, la mort pourra rompre les nœuds
Dont mes bras nous vont joindre et lier toutes deux :
Mon corps sera plutôt séparé de mon âme,
Que je souffre jamais… Ah ! ma fille !

IPHIGÉNIE
Ah ! Madame !
Sous quel astre cruel avez-vous mis au jour
Le malheureux objet d'une si tendre amour ?
Mais que pouvez-vous faire en l'état où nous sommes ?
Vous avez à combattre et les dieux et les hommes.
Contre un peuple en fureur vous exposerez-vous ?
N'allez point, dans un camp rebelle à votre époux,
Seule à me retenir vainement obstinée,
Par des soldats peut-être indignement traînée,
Présenter, pour tout fruit d'un déplorable effort,
Un spectacle à mes yeux plus cruel que la mort.
Allez ; laissez aux Grecs achever leur ouvrage,
Et quittez pour jamais un malheureux rivage.
Du bûcher qui m'attend, trop voisin de ces lieux,
La flamme de trop près viendrait frapper vos yeux.
Surtout, si vous m'aimez, par cet amour de mère,
Ne reprochez jamais mon trépas à mon père.

CLYTEMNESTRE
Lui ! par qui votre cœur à Calchas présenté…

IPHIGÉNIE
Pour me rendre à vos pleurs que n'a-t-il point tenté ?

CLYTEMNESTRE
Par quelle trahison le cruel m'a déçue !

IPHIGÉNIE
Il me cédait aux dieux dont il m'avait reçue.
Ma mort n'emporte pas tout le fruit de vos feux :
De l'amour qui vous joint vous avez d'autres nœuds ;
Vos yeux me reverront dans Oreste mon frère.
Puisse-t-il être, hélas ! moins funeste à sa mère !
D'un peuple impatient, vous entendez la voix.
Daignez m'ouvrir vos bras pour la dernière fois,
Madame, et rappelant votre vertu sublime…
Eurybate, à l'autel ! conduisez la victime.

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