Acte deuxième - Scène V
Iphigénie, Ériphile, Doris
IPHIGÉNIE
En quel funeste état ces mots m'ont-ils laissée !
Pour mon hymen Achille a changé de pensée !
Il me faut sans honneur retourner sur mes pas ;
Et vous cherchez ici quelque autre que Calchas ?
ÉRIPHILE
Madame, à ce discours je ne puis rien comprendre.
IPHIGÉNIE
Vous m'entendez assez, si vous voulez m'entendre.
Le sort injurieux me ravit un époux ;
Madame, à mon malheur m'abandonnerez-vous ?
Vous ne pouviez sans moi demeurer à Mycène ;
Me verra-t-on sans vous partir avec la reine ?
ÉRIPHILE
Je voulais voir Calchas avant que de partir.
IPHIGÉNIE
Que tardez-vous, Madame, à le faire avertir ?
ÉRIPHILE
D'Argos, dans un moment, vous reprenez la route.
IPHIGÉNIE
Un moment quelquefois éclaircit plus d'un doute.
Mais, Madame, je vois que c'est trop vous presser ;
Je vois ce que jamais je n'ai voulu penser :
Achille… Vous brûlez que je ne sois partie.
ÉRIPHILE
Moi ? Vous me soupçonnez de cette perfidie ?
Moi, j'aimerais, Madame, un vainqueur furieux,
Qui toujours tout sanglant se présente à mes yeux ?
Qui, la flamme à la main et de meurtres avide,
Mit en cendres Lesbos…
IPHIGÉNIE
Oui, vous l'aimez, perfide !
Et ces mêmes fureurs que vous me dépeignez,
Ces bras que dans le sang vous avez vus baignés,
Ces morts, cette Lesbos, ces cendres, cette flamme,
Sont les traits dont l'amour l'a gravé dans votre âme,
Et loin d'en détester le cruel souvenir,
Vous vous plaisez encore à m'en entretenir.
Déjà plus d'une fois, dans vos plaintes forcées,
J'ai dû voir, et j'ai vu, le fond de vos pensées ;
Mais toujours sur mes yeux ma facile bonté
A remis le bandeau que j'avais écarté.
Vous l'aimez. Que faisais-je ? et quelle erreur fatale
M'a fait entre mes bras recevoir ma rivale ?
Crédule, je l'aimais ; mon cœur même aujourd'hui
De son parjure amant lui promettait l'appui.
Voilà donc le triomphe où j'étais amenée !
Moi-même à votre char je me suis enchaînée.
Je vous pardonne, hélas ! des vœux intéressés,
Et la perte d'un cœur que vous me ravissez.
Mais que sans m'avertir du piège qu'on me dresse,
Vous me laissiez chercher jusqu'au fond de la Grèce
L'ingrat qui ne m'attend que pour m'abandonner,
Perfide, cet affront se peut-il pardonner ?
ÉRIPHILE
Vous me donnez des noms qui doivent me surprendre,
Madame : on ne m'a pas instruite à les entendre ;
Et les dieux, contre moi dès longtemps indignés,
À mon oreille encor les avaient épargnés.
Mais il faut des amants excuser l'injustice.
Et de quoi vouliez-vous que je vous avertisse ?
Avez-vous pu penser qu'au sang d'Agamemnon
Achille préférât une fille sans nom,
Qui de tout son destin ce qu'elle a pu comprendre,
C'est qu'elle sort d'un sang qu'il brûle de répandre ?
IPHIGÉNIE
Vous triomphez, cruelle, et bravez ma douleur.
Je n'avais pas encor senti tout mon malheur,
Et vous ne comparez votre exil et ma gloire,
Que pour mieux relever votre injuste victoire.
Toutefois vos transports sont trop précipités.
Ce même Agamemnon à qui vous insultez,
II commande à la Grèce, il est mon père, il m'aime,
II ressent mes douleurs beaucoup plus que moi-même.
Mes larmes par avance avaient su le toucher ;
J'ai surpris ses soupirs qu'il me voulait cacher.
Hélas ! de son accueil condamnant la tristesse,
J'osais me plaindre à lui de son peu de tendresse !