Scène VIII


Adrien (froid et digne, s'arrêtant sur le pas de la porte)
C'est moi, monsieur.

Follbraguet
Quoi, c'est vous ?

Adrien
Je souhaiterais avoir une conversation avec Monsieur.

Follbraguet
Quoi ? quoi ? qu'est-ce que c'est encore ?

Adrien
J'ai attendu que Monsieur ait achevé son client. Quand j'ai entendu que Monsieur le faisait emmener par M. Jean, j'ai frappé.

Follbraguet
Bon, bon, ça va bien, parlez !

Adrien (descendant.)
Soit ! Monsieur n'ignore pas que Madame vient de gravement offenser Hortense ?

Follbraguet
Ah ! non ! non ! vous n'allez pas encore venir me réembêter avec ça !

Adrien
Je regrette de réembêter Monsieur, mais ce n'est pas pour mon plaisir. Monsieur sait sans doute que je fréquente avec Hortense ?

Follbraguet
Quoi ?

Adrien
Enfin, on s'est cédé.

Follbraguet
Ah !

Adrien
Oh ! pour le bon motif, car, malgré ça, je compte l'épouser.

Follbraguet
Ah !… Eh bien ?

Adrien
Eh ben ! en tant que mari, je ne puis admettre que Madame dise d'Hortense qu'elle couche avec Monsieur, ce qui est infamant !

Follbraguet
Infamant ! infamant ! D'abord, je suppose que vous n'avez pas cru !

Adrien
Oh ! non, je connais Hortense

Follbraguet
Merci pour moi.

Adrien
Et puis, n'y a qu'à se souvenir de la façon dont Madame appelait Monsieur quand elle traitait Monsieur de chapon.

Follbraguet
Ah ! mais dites donc !

Adrien
Ce n'est pas pour froisser Monsieur, c'est pour lui montrer l'illogisme des femmes.

Follbraguet
Je ne vous dis pas, mais…

Adrien
Bref, Monsieur, étant donné les choses, j'ai le regret d'annoncer que je serai obligé de quitter le service de Monsieur.

Follbraguet
Eh bien, quittez-le ! Qu'est-ce que vous voulez que je vous dise.

Adrien (digne.)
C'est bien, Monsieur. Désormais, je reprends mon rang dans la société et je parle d'égal à égal.

Follbraguet
Quoi !

Adrien
Je ne suis qu'un mari qui défend l'honneur de sa femme. Ou Madame retire ce qu'elle a dit et fera des excuses à Hortense…

Follbraguet (pouffant nerveusement.)
A Hortense !…

Adrien
Ou bien, je n'oublie pas que je suis ancien prévôt d'armes au régiment, j'aurai l'honneur d'envoyer mes témoins à Monsieur.

Follbraguet
Vos témoins ! Ah, çà ! vous vous fichez de moi ! Vous ne pensez pas que je vais me battre avec mon domestique ?

Adrien
Je ne suis plus domestique.

Follbraguet (allant à lui.)
Mais je les ficherai à la porte, vos témoins.

Adrien
En ce cas, il sera établi qu'après avoir offensé les gens, Monsieur refuse de se battre, et il sera carencé.

Follbraguet (se tordant rageusement.)
Je serai carencé !… je serai carencé !… c'est admirable ! Eh bien ! qu'on me carence ! qu'est-ce que ça me fiche ?

Adrien
Ça, c'est affaire à Monsieur !

Follbraguet (s'arrachant les cheveux.)
Mon Dieu ! Mon Dieu ! Mais pourquoi est-ce que c'est sur moi que tout le monde tombe, est-ce que je suis pour quelque chose dans tout ça ?

Adrien
Oh ! je sais bien que ce n'est pas Monsieur. Mais étant donné que le mari répond pour la femme !… j'attendrai jusqu'à ce soir la décision de Monsieur !… Ou Madame fera des excuses…

Follbraguet
Ah ! non, vous ne voyez pas ça !

Adrien
Ou alors demain, j'envoie à Monsieur deux de mes amis.

Follbraguet
D'abord, si vous croyez que Madame consentirait…

Adrien
Oh ! ça, c'est parce que Monsieur le veut bien, parce qu'enfin c'est Monsieur qui commande de par la loi, Monsieur n'a qu'à faire acte d'autorité, qu'à dire "En voilà assez ! je suis le maître et j'exige ! "

Follbraguet
Ah ! oui… Vous en parlez à votre aise.

Adrien
Enfin, Monsieur a jusqu'à ce soir avant que je lui envoie mes témoins.

Hortense (qui devait écouter depuis un moment à la porte restée contre, surgissant et se précipitant sur Adrien)
Qu'est-ce que tu dis ? Des témoins ? Tu veux te battre ?

Adrien (se dégageant de son étreinte.)
Ah ! je t'en prie, toi, c'est affaire entre hommes tais-toi !

Hortense
Ah ! non, tu ne vas pas te battre avec ces gens-là !

Adrien
En voilà assez, je te dis ! Je suis le maître ! Et j'exige !(Hortense se le tient pour dit. A ce moment, on sonne dans l'antichambre, sur un tout autre ton, à Follbraguet)
Jusqu'à ce soir, je continue mon service. Je vais ouvrir.

Marcelle (sortant de sa chambre en avalanche.)
Voil… (En rencontrant Hortense, elle s'arrête, toise les domestiques qui sortent dignement.)(Une fois les personnes sorties, jetant une clé sur la table.)
Voilà ma clé !… ma chambre est libre, tu peux en disposer !

Follbraguet
Oui, eh bien ! voilà ce que j'en fais de ta clef, je la fiche au feu !…
(Il l'envoie à toute volée dans la cheminée.)

Marcelle
A ton aise !…

Follbraguet
Tu sais ce que tu m'amènes avec tes histoires ?

Marcelle
Je ne suis pas curieuse de le savoir.

Follbraguet
J'ai un duel avec mon domestique !

Marcelle (ironique.)
Voyez-vous ça ?

Follbraguet
Il n'y a pas de "voyez-vous ça" !… Comme Adrien est fiancé à Hortense et que tu l'as insultée, il m'en demande raison.

Marcelle
Très bien ! C'est très bien ! ça prouve qu'il n'est pas comme certaines gens. Quand on insulte sa femme, il prend fait et cause pour elle ! ce n'est pas un pleutre !

Follbraguet
Oui, eh bien ! en attendant, tu as offensé Hortense, tu vas me faire le plaisir de lui faire des excuses.

Marcelle
Moi ? eh ben !

Follbraguet
Et séance tenante.

Marcelle
Pourquoi ? T'as peur !

Follbraguet
Qu'est-ce que tu dis, espèce d'idiote ? Et puis, en voilà assez. Je suis le maître et j'exige.
(Paraît Adrien qui s'arrête sur le pas de la porte.)

Marcelle
Ah ! "tu exiges" ! tiens !
(Elle lui envoie un soufflet.)

Follbraguet
Oh !

Marcelle
Monsieur exige !
(Elle sort de gauche.)

Follbraguet (à Adrien)
Eh bien ! voilà, mon ami, quand je montre de l'autorité. Voilà !

Adrien
Ah ! évidemment… quand il faut remonter un courant…

Follbraguet (exaspéré.)
Oh ! non ! non !

Adrien
Ah ! mais, Monsieur a toute la journée devant lui…

Follbraguet
Ah ! fichez-moi la paix !…

Adrien
Y a le monsieur que Monsieur a déjà soigné aujourd'hui qui revient.

Follbraguet
Quel monsieur ?

Adrien
Celui qui était là juste avant la dame qui venait pour son "mniam, mniam, mniam".

Follbraguet
Ah !

Adrien
Il paraît qu'il a toujours mal.

Follbraguet
Bon ! bien !… eh ! bien !…

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