(LES MÊMES.)
Monsieur des Renardeaux (s'affuble d'une énorme perruque, d'un bonnet carré et d'une robe de palais, s'assied gravement dans le fauteuil à bras et dit à mademoiselle Beaulieu :)
Je vous constitue huissière audiencière. Appelez les parties.
Mademoiselle Beaulieu
Il y a plainte de la veuve madame Bertrand contre le sieur Hardouin.
Monsieur des Renardeaux
Qu'elle paraisse… Quels sont vos griefs ? de quoi vous plaignez-vous ?
Madame Bertrand
De ce que le sieur Hardouin que voilà se dit père de mon enfant.
Monsieur des Renardeaux
L'est-il ?
Madame Bertrand
Non.
Monsieur des Renardeaux
Levez la main et affirmez.
Madame Bertrand (lève la main.)
Et de ce que sous ce titre usurpé il sollicite une pension.
Monsieur des Renardeaux
L'obtient-il ?
Madame Bertrand
Oui.
Monsieur des Renardeaux
Condamnons ladite dame Bertrand à restituer la façon.
Mademoiselle Beaulieu
Il y a plainte des dame et demoiselle de Vertillac et sieur de Crancey contre ledit sieur Hardouin.
Monsieur des Renardeaux
Que les dame et demoiselle de Vertillac paraissent… Quels sont vos griefs ? de quoi vous plaignez-vous ?
Madame de Vertillac
C'est un homme horrible, abominable.
Monsieur des Renardeaux
Point d'injures. Au fond, au fond.
Madame de Vertillac ( à madame de Chepy.)
Bonne amie, parlez pour moi.
Madame de Chepy
Pour consommer un mariage auquel une mère s'opposait, il a supposé la fille grosse, il a contrefait des lettres et lié la mère par un dédit.
Monsieur des Renardeaux
Je sais. Que le dédit soit lacéré sur-le-champ ; que le sieur Hardouin, la demoiselle de Vertillac et le sieur de Crancey se jettent aux pieds de madame de Yertillac et que la dame de Vertillac les relève et les embrasse. (Ils se jettent aux pieds de madame de Vertillac, qui hésite et qui dit à madame de Chepy :)
Madame de Vertillac
Que ferai-je, bonne amie ?
Madame de Chepy
Ce que le juge ordonne et ce que votre cœur vous dit.
Madame de Vertillac (relève et embrasse sa fille et M. de Crancey, et dit à M. Hardouin :)
Et toi, double traître, il faut t'embrasser aussi. (Et elle l'embrasse.)
Mademoiselle Beaulieu
Il y a plainte de madame de Chepy contre ledit sieur Hardouin.
Monsieur des Renardeaux
Je sais. Renvoyés dos à dos, sauf à se retourner en temps et lieu.
Mademoiselle Beaulieu
Il y a plainte du sieur Des Renardeaux, avocat, juge et partie, contre le sieur Hardouin.
Monsieur des Renardeaux
Le sieur Des Renardeaux pardonnera au sieur Hardouin, à la condition que ledit sieur Hardouin le mettra, sans délai ni prétexte aucuns, en possession d'une certaine chaise à porteurs, et qu'il subira une retraite de deux mois au moins à Gisors pour n'y rien faire ou pour y faire ce que bon lui semblera.
Mademoiselle Beaulieu
Il y a plainte du sieur de Surmont, bon ou mauvais poëte, contre le sieur Hardouin.
Monsieur des Renardeaux
Qu'il paraisse… Quels sont vos griefs ? de quoi vous plaignez-vous ?
Monsieur de Surmont
De ce que l'on me demande une pièce ; qu'on se fait un mérite d'un service que je rends ; que je m'enferme toute une journée pour faire la pièce ; et quand je l'apporte, qu'on me déclare qu'elle ne se jouera pas.
Monsieur des Renardeaux
Condamnons le sieur Hardouin, qui a commandé la pièce qu'on ne jouera pas, à une amende de six louis, applicable aux cabalistes du parterre de la Comédie-Française, sans compter les gages du chef de meute, à la première représentation de la pièce que le bon ou le mauvais poëte de Surmont fera et qu'on jouera.
Mademoiselle Beaulieu
Il y a plainte d'une demoiselle Beaulieu contre les sieurs de Surmont et Hardouin conjointement.
Monsieur des Renardeaux
Qu'elle paraisse… Quels sont vos griefs ? de quoi vous plaignez-vous ?
Mademoiselle Beaulieu
D'un vilain rôle, d'un rôle malhonnête. À chaque ligne, à chaque mot ma pudeur alarmée.
Monsieur des Renardeaux
Condamnons le sieur de Surmont, poëte indécent, à s'observer à l'avenir, et, pour le moment, à prendre la main de mademoiselle, sans la serrer, et à la présenter à l'amie de sa maîtresse pour en obtenir quelque grâce, si le cas y échet.
Tous (, excepté madame Bertrand qui reste affligée dans son fauteuil.)
Bravo ! bravo !
Mademoiselle Beaulieu
Paix-là, paix-là, paix-là.
La pièce "Le Père de famille" de Denis Diderot est une comédie dramatique en cinq actes publiée en 1758. Elle explore des thèmes liés aux devoirs parentaux, à l’éducation, à...