ACTE IV - Scène XII


(MONSIEUR HARDOUIN, MADAME BERTRAND, MONSIEUR DES RENARDEAUX, MADAME DE CHEPY, MADAME et MADEMOISELLE DE VERTILLAC, MONSIEUR DE CRANCEY, MADEMOISELLE BEAULIEU ; MONSIEUR DE SURMONT, sur les pas de mademoiselle Beaulieu.)

Monsieur Hardouin (en montrant M. de Surmont.)
Le voilà.

Monsieur de Surmont (à M. Hardouin.)
C'est fait, je vous l'apporte. Cela est gai, cela est fou, et pour un amusement de société, j'espère que cela ne sera pas mal… Voilà nos acteurs apparemment ? La troupe sera charmante, (Il les compte.)
Une, deux, trois… C'est précisément le nombre qu'il me faut… Mais je les trouve tous diablement tristes… Mesdames, si je vous fais attendre, je vous en demande mille pardons.

Monsieur Hardouin
Voilà un incognito bien gardé !

Monsieur de Surmont
Ma foi, je n'y pensais plus… Messieurs, j'ai travaillé sans relâche ; il m'a été impossible d'aller plus vite, encore cette bagatelle était-elle en ébauche dans mon portefeuille. On copiait les rôles à mesure que j'écrivais… Il me faut d'abord deux amants, et deux amants bien doux, bien tendres, bien tourmentés par des parents bizarres, et les voilà, (À Crancey.)
Souvenez-vous, monsieur, que vous êtes d'une violence dont le Saint-Albin du Père de famille n'approche pas…

Monsieur de Crancey
Cela ne me coûtera rien.

Monsieur de Surmont
Ensuite une veuve bien emportée, bien têtue, bien folle, bonne pourtant. (À madame de Vertillac.)
Ce rôle vous conviendra-t-il ?

Madame de Vertillac
Bonne ! Pour mon malheur, je ne le suis que trop.

Monsieur de Surmont (à la veuve.)
Eh ! vous voilà dans le costume que j'aurais désiré. Vous êtes, madame, une jeune et jolie veuve qui joue la douleur de la perte d'un mari bourru qu'elle n'aimait pas.

Madame Bertrand
Et vous, monsieur, vous êtes… Laissez-moi en repos.

Monsieur de Surmont (à M. des Renardeaux.)
Vous, monsieur, vous serez, s'il vous plaît, un vieil avocat.

Monsieur des Renardeaux
Bas-normand, ridicule et dupé ?

Monsieur de Surmont
Tout juste, tout juste. Je n'avais pas pensé à le faire bas-normand ; mais l'idée est heureuse et je m'en servirai.

Monsieur des Renardeaux
Ne pourriez-vous pas, monsieur, me dispenser de faire en un jour deux fois le même personnage ? car je trouve que c'est trop d'une.

Monsieur de Surmont
Rond, gros, replet, bien épais ; non, non, je ne pourrais vous remplacer. (À mademoiselle Beaulieu.)
Ah ! mademoiselle, je compte que votre rôle vous aura plu, car je vous ai faite rusée, silencieuse, discrète surtout.

Mademoiselle Beaulieu
Mais il ne fallait pas oublier que j'étais honnête et décente.

Monsieur de Surmont
C'est une licence de théâtre. Mon ami, j'y suis, tu y es aussi, et voilà ton rôle ; il n'est pas court, je t'en préviens… Tu ne me réponds pas. Parle donc, est-ce que je me serais tué à faire une pièce qu'on ne jouera pas ?

Monsieur Hardouin
J'en ai le soupçon.

Monsieur de Surmont
Cela est horrible, abominable.

Monsieur Hardouin
Elle est peut-être mauvaise ?

Monsieur de Surmont
Bonne ou mauvaise, elle est faite ; il faut qu'on la joue, ou je la fais imprimer sous ton nom.

Monsieur Hardouin
Le tour serait sanglant.

Monsieur des Renardeaux
Bravo ! Combien sommes-nous ici ? dix, en le comptant, sans ceux qui sont absents et ceux qui surviendront, et pas un seul qu'il n'ait servi et avec lequel il ne soit brouillé.


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