ACTE IV - Scène X


(MONSIEUR HARDOUIN, MADAME BERTRAND, MONSIEUR DES RENARDEAUX, MADAME et MADEMOISELLE DE VERTILLAC, MONSIEUR DE CRANCEY, MADAME DE CHEPY.)

Madame de Vertillac ( à M. Hardouin.)
Monsieur, qu'est-ce que ces lettres que vous m'avez montrées ? Qu'est-ce que ce dédit que monsieur a dressé et que vous m'avez fait signer ? Répondez, répondez.

Monsieur Hardouin ( à madame de Vertillac.)
Je n'ai pas trop mémoire de tout cela. Monsieur de Crancey, ne vous ai-je pas écrit ? Ne m'avez-vous pas répondu ?

Madame de Vertillac
Vous avez eu avec moi un procédé auquel on ne sait quel nom donner ; celui d'abominable est trop doux. Jamais un homme honnête s'est-il permis de pareils expédients ?

Monsieur Hardouin
Les circonstances et le caractère des personnes n'en laissent pas toujours le choix.

Monsieur des Renardeaux
Qu'a-t-il donc fait à celle-ci ?

Madame Bertrand
Il ne lui aura pas fait pis qu'à moi ; je l'en défie.

Madame de Vertillac
Il me traduit mon enfant comme une fille sans mœurs.

Monsieur des Renardeaux
Diable !

Madame de Vertillac
Il me met dans l'alternative ou de perdre une portion considérable de ma fortune, ou de disposer de la main de ma fille à son gré.

Monsieur des Renardeaux
Diable !

Madame de Vertillac
Il fait pis : il m'humilie ; après m'avoir plongé un poignard dans le cœur, il s'amuse gaiement à le tourner… Éloignez-vous, monsieur ; éloignez-vous au plus vite, vous entendriez de moi des choses que je serais peut-être honteuse de vous avoir dites.

Monsieur Hardouin
Voilà l'histoire du moment, mais c'est au temps que j'en appelle. J'ai causé une peine cruelle à madame, j'en conviens ; mais j'en ai fait cesser une longue et plus cruelle ; j'en appelle à M. de Crancey et à mademoiselle, voilà mes juges. J'ai ramené madame à l'équité et à sa bonté naturelle ; et sous quelque face que mon procédé soit considéré, s'il en résultait à l'avenir son propre bonheur, celui de mademoiselle sa fille, celui de Crancey, celui des deux familles…

Monsieur de Crancey
Cela sera, mon ami ; madame, cela sera, n'en doutez pas.

Monsieur Hardouin
Alors madame verrait les choses comme elles sont, se ressouviendrait des reproches amers qu'elle m'adresse, et j'ose me flatter qu'elle en rougirait.

Madame de Chepy
En attendant, monsieur, vous vous êtes manqué à vous-même.

Madame de Vertillac
Vous l'avez dit, mon amie, vous l'avez dit. Avec tout son esprit, l'imbécile a ignoré ce qu'il avait conservé d'empire sur mon cœur.

Monsieur Hardouin
J'aurai de la peine à me repentir d'une faute à laquelle je dois un aussi doux aveu.

Madame de Chepy
Êtes-vous folle ? Vous venez pour l'accabler d'injures, et vous lui dites des douceurs !

Madame de Vertillac
Et voilà comme nous sommes toutes avec ces monstres-là.


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