(MONSIEUR HARDOUIN, MONSIEUR DE CRANCEY, MADAME et MADEMOISELLE DE VERTILLAC.)
Monsieur Hardouin
Les voilà ! Sortez vite.
Monsieur de Crancey
Non, je reste. Je veux que cette femme me voie, et connaisse par ce que j'ai fait, ce que je serais capable de faire.
Madame de Vertillac (en grondant sa fille.)
Mademoiselle, je ne vous conseille pas d'être de cette maussaderie, si vous voulez que je vous présente ailleurs.
Mademoiselle de Vertillac (, apercevant de Crancey.)
Ah ! ciel ! Je suis prête à me trouver mal.
Madame de Vertillac
Bonjour, mon cher Hardouin… Qu'avez-vous ? Est-ce avec ce visage-là qu'on reçoit ses anciens amis ? Vous voilà tout déconcerté. Vous ne m'attendiez pas.
Monsieur Hardouin
Pardonnez-moi, madame, je vous savais à Paris.
Madame de Vertillac
Et c'est moi qui vous préviens ?
Monsieur Hardouin
Je suis accablé d'affaires.
Madame de Vertillac
Qu'est-ce que cet homme-là ? C'est notre postillon, je crois. L'ami, n'as-tu pas été mieux payé que tu ne nous as servies ? Parle, que veux-tu ? Un petit écu de plus ? Dis à mon laquais de te le donner… (De Crancey relevant son chapeau qu'il avait tenu rabattu.)
C'est lui, c'est mon persécuteur ! Ce maudit homme cessera-t-il de me poursuivre ?… Monsieur, par hasard, est-ce que vous auriez été notre postillon ?
Monsieur de Crancey
Madame, j'ai eu cet honneur pendant toute la route.
Madame de Vertillac ( à sa fille.)
Et vous le saviez ?
Mademoiselle de Vertillac
Il est vrai, maman.
Madame de Vertillac
Vous le saviez ! et vous ne m'en avez rien dit !
Monsieur Hardouin
À sa place qu'eussiez-vous fait ?
Madame de Vertillac
Je ne suis plus surprise de sa lenteur à nous mener. Que je suis à plaindre ! Ils me feront devenir folle. (À M. Hardouin.)
Vous riez… Faut-il donc s'en retourner en province ?
Monsieur Hardouin
Non, mais les marier à Paris, et le plus tôt sera le meilleur.
Madame de Vertillac
Monsieur, ce procédé est indigne.
Monsieur de Crancey (aux genoux de madame de Vertillac.)
Madame, pardon, mille pardons. L'amour…
Madame de Vertillac
L'amour, l'amour est un fou.
Monsieur Hardouin
Madame, qui le sait mieux que nous ?
Madame de Vertillac (à Crancey.)
Retirez-vous, je ne veux ni vous entendre, ni vous voir. Je crois que votre projet est de me tourmenter ici comme vous avez fait depuis trois ans en province. Mais écoutez-moi, et ne perdez pas un mot de ce que je vais vous dire. Vous aimez ma fille : si, sous quelque forme que ce soit, vous approchez de notre domicile, si vous nous obsédez au spectacle, à la promenade, en visite, si vous me causez le moindre souci, je l'enferme dans un couvent pour n'en sortir que quand il ne sera plus en mon pouvoir de l'y retenir. Adieu… adieu, mon ami.
La pièce "Le Père de famille" de Denis Diderot est une comédie dramatique en cinq actes publiée en 1758. Elle explore des thèmes liés aux devoirs parentaux, à l’éducation, à...