Acte II - Scène IV



(LES MÊMES, ISIDORE)


ISIDORE
C'est fait ! ça y est ! je les ai ! J'ai cent millions, j'ai cent millions !

TOUS(sautant de joie. )
Cent millions ! il a cent millions !

ISIDORE
Ah ! messieurs ! Ah ! Madame.

PAULETTE(lui ouvrant les bras. )
Ah ! Isidore, mon Isidore !

ISIDORE(se jetant dans ses bras. )
Ah ! Madame ! (Il l'embrasse.)
Oh ! pardon, j'ai embrassé madame.

PAULETTE
Allez donc ! allez donc ! c'est la joie ! c'est le bonheur !

ISIDORE
Oh ! oui, madame, c'est la joie, c'est le bonheur. (A Serge.)
Il ne faut pas croire, monsieur, que jamais avant ça.

TOUS
Mais oui ! mais oui !

PAULETTE
Mais ne vous excusez pas ! vous m'avez embrassée, je vous ai embrassé aussi ; alors nous sommes quittes.

SERGE
Un jour comme ça, tout le monde s'embrasse. Tenez, embrassez-moi aussi.

ISIDORE
Oh ! oh ! je n'aurais pas osé le demander à monsieur.

SERGE
Allez donc ! (Ils s'embrassent.)
Comme ça, c'est le baiser de madame que vous m'avez rendu.

PAULETTE
Mais oui, voilà.

MITTWOCH
A la bonne heure.

ACTINESCU
Vraiment, c'est émouvant, ça réchauffe le cœur.

ISIDORE
Oui, monsieur.

SNOBINET
Oui, on se sent bon.

ISIDORE
Ah ! c'est que, vrai ! je suis heureux Quand je pense que… oh ! oh !…. et maman ! et maman ! quelle joie pour elle !

PAULETTE
Oui, votre chère maman.

MITTWOCH
Brave cœur ! il pense à sa mère.

SERGE
Ah ! elle peut être heureuse.

PAULETTE
Et fière de son œuvre.

SNOBINET
Avoir fait un fils comme vous.

MITTWOCH
Un fils plusieurs fois millionnaire… (Brusquement.)
Tenez ! moi aussi, il faut que je vous embrasse.

ISIDORE
Ah ! aussi !

MITTWOCH
Allez ! allez ! c'est pas tous les jours fête.

ISIDORE
Avec plaisir. (Ils s'embrassent.)
Et toi aussi, Philomèle. (Il l'embrasse.)

PHILOMÈLE
Oh, oh ! moi, monsieur ?

ISIDORE
Monsieur ! C'est moi que tu appelles monsieur ?

PHILOMÈLE
Dame, maintenant que Monsieur est un monsieur.

ISIDORE
Un monsieur ! (Il l'embrasse.)

MITTWOCH
Mais oui, mais oui ! elle a raison ! C'est tout qu'est-ce qui fait la différence des classes, l'archent ! Vous avez l'archent, vous êtes un monsieur.

PAULETTE
Mais oui !

MITTWOCH
Un gentleman.

ACTINESCU
Un homme du monde.

SNOBINET
Comme nous.

ISIDORE
Non ! tout ça à la fois ?

TOUS
Tout ça.

ISIDORE
Ben, vrai ! j'en ai pour mon argent !

SNOBINET(avec élan. )
Ah ! je ne saurais vous dire… Vous savez, si jamais vous avez besoin de moi…

ISIDORE
Vous êtes bien bon.

SNOBINET
Si vous avez jamais envie de places de théâtre.

ISIDORE
C'est vrai ?… à l'œil ?

SNOBINET
Mais je crois bien, à l'œil ! Ah ben ! Si les gens comme vous devaient payer au théâtre, à qui donnerait-on les billets de faveur ?

ISIDORE
Ah ! bien, avec plaisir. (A Actinescu.)
Le théâtre, c'est si cher !

ACTINESCU
Certes ! (A Paulette.)
Voulez-vous me présenter à monsieur Raclure que je n'ai pas le plaisir ?…

PAULETTE
Comment, vous ne lui avez pas été présenté ?

ACTINESCU
Je n'ai pas eu cet honneur.

ISIDORE
C'est vrai, Monseigneur, on n'a pas eu l'honneur…,

PAULETTE
Oh ! (Présentant.)
Son Altesse royale Monseigneur le prince Actinescu ! M. Isidore Raclure.

ISIDORE
Certainement ! Certainement !

ACTINESCU
Je ne saurais vous dire, monsieur, combien…

ISIDORE
Avec joie ! avec joie ! (Il l'embrasse.)

TOUS
Ah ! bravo.

ACTINESCU
Mais croyez que je suis très flatté.

PAULETTE
A la bonne heure.

ISIDORE
Ah ! je suis si heureux.

PAULETTE
Oh ! mais débarrassez-vous donc ! Votre chapeau vous gêne.

ISIDORE
Oh ! ben, tout à l'heure, en retournant à la cuisine.

PAULETTE
A la cuisine ! à la cuisine ! voulez-vous bien…

ISIDORE
Oh ! madame ! madame…

MITTWOCH
Allez ! allez ! donnez votre mou…

ISIDORE
Oh ! oh !

MITTWOCH (LE LUI ARRACHANT )
Allez, voyons ! (A Philomèle.)
Emportez le mou ! Emportez le mou !

PHILOMÈLE
Oui, monsieur.

PAULETTE
Et avec soin, Philomèle, avec soin.

PHILOMÈLE
Oui, Madame.
(Elle sort.)


PAULETTE
Allez ! asseyez-vous ! asseyez-vous !

ISIDORE
Moi ?

MITTWOCH
Vite ! vite ! de quoi s'asseoir.

SERGE
Attendez ! attendez !

ACTINESCU
Tenez, voilà une chaise.

SNOBINET
Non, celle-ci est meilleure.

PAULETTE
Mais non, un fauteuil, voyons ! ou là, là, sur la chaise-longue.

ISIDORE
Oh ! oh !

PAULETTE
A côté de moi.

ISIDORE
Moi ! moi ! à côté de… oh ! madame ne voudrait pas.

PAULETTE
Oh ! vous n'allez pas faire des manières, voyons.

MITTWOCH
Maintenant que vous êtes un Monsieur… TOUS(le faisant asseoir. )
Allons, voyons ! voyons !

ISIDORE(confus. )
Oh !

PAULETTE(s'asseyant auprès de lui. )
Là ! vous n'êtes pas bien comme ça ?

ISIDORE
Si, si, évidemment ! Mais, tout de même, c'est pas correct,… et puis mon couvert,… mon couvert à mettre.

PAULETTE
Mais il est mis, votre couvert ; on l'a mis pour vous.

ISIDORE
Qui ça ?

SERGE
Mais un peu tout le monde ! Monseigneur surtout.

ISIDORE
Non, c'est Monseigneur !… (En connaisseur.)
Oh ! mais c'est bien, ça !

PAULETTE
Aha !

MITTWOCH
Eh ! bien, hein ?

ACTINESCU(flatté. )
Oh ! vous me flattez !… vrai, vous me flattez !

ISIDORE
C'est pas possible… Et Monseigneur n'a jamais été valet de chambre nulle part ?

ACTINESCU
Jamais !

ISIDORE
Eh ! bien vrai ! vous savez, là…

ACTINESCU(ému. )
Oh ! oh !

MITTWOCH
Je crois que c'est un compliment !

ISIDORE
Pas du tout !… pas du tout ! c'est sincère.

SNOBINET
Ah ! oui, mais les serviettes, c'est moi qui les ai pliées.

ISIDORE
Oui, oh bien, ça, c'est pas ce qu'il y a de mieux. On plie comme ça, en province, dans les tables d'hôte de commis-voyageurs et de cabots !

SNOBINET
Ah ! ah !

MITTWOCH
Attrape, Monte-Christo !

ISIDORE
Mais pour le reste ! ah ! y a pas, sans pommade, on peut dire que Monseigneur a la vocation !

ACTINESCU
Oh ! venant de vous…

ISIDORE
Je dis comme je pense ! Je dis comme je pense.

PAULETTE
Et il s'y connaît.

SERGE
Ah ! vous pouvez être fier !

ISIDORE
Mais oui, mais oui ! Monsieur le comte ne veut pas s'asseoir ?

PAULETTE(le faisant rasseoir. )
Mais non, mais non.

SERGE
Merci ! merci bien.

ISIDORE(se levant. )
Parce que si monsieur le comte voulait s'asseoir…

PAULETTE
Mais restez donc, voyons ! vous n'êtes pas bien ?

ISIDORE
Oh ! si, seulement je suis si habitué à être debout quand tout le monde est assis, que je suis tout gêné d'être assis quand tout le monde est debout.

PAULETTE
Oui ! eh bien, ça ne fait rien, ça ne fait rien !

TOUS
Asseyez-vous ! asseyez-vous !

PHILOMÈLE
Madame.

PAULETTE
Qu'est-ce qu'il y a ?

PHILOMÈLE
Y a que John…

PAULETTE
John ?

PHILOMÈLE
Demande à parler à Madame.

ISIDORE(se levant. )
John !

PAULETTE (À ISIDORE)
Restez donc assis ! (A Philomèle)
Quoi, John ? Quoi, John ? Je n'ai rien à lui dire. Je l'ai mis à la porte, il n'a qu'à s'en aller.

PHILOMÈLE
C'est pour son certificat.

PAULETTE
Eh ! ben, quoi ? Il l'a, son certificat, je vous l'ai donné.

PHILOMÈLE
Oui, mais il ne lui convient pas comme ça.

PAULETTE
Vraiment ! Eh ! bien, je suis désolée ! Mais il faudra qu'il s'en contente.

JOHN(entrant. )
J'en suis désolé aussi, mais Madame m'en fera un autre.

PAULETTE
Qu'est-ce que c'est ? Vous avez l'audace ! Serge ! Serge !

SERGE
Quoi ! quoi ! qu'est-ce qu'il y a ?

JOHN
Eh ! bien voilà, monsieur le Comte… Monsieur le Comte est un homme sensé, on peut causer avec monsieur le Comte.

SERGE
Bon, bon, John.

JOHN
Je respecte et j'honore monsieur le comte.

SERGE
Oui, bon, bon, passons !

JOHN
Madame me met à la porte ! Bon ! ça j'accepte, mais elle me fait un certificat avec tout simplement : "J'atteste que le nommé Alphonse Trumlot est resté six mois à mon service."

SERGE
Oui !

JOHN
Un point, c'est tout ! Madame a même écrit "J'atteste" t.a.i mais ça, je passe par-dessus.

PAULETTE
Dites donc, malotru !

SERGE
Paulette ! Paulette !

JOHN
Les preuves sont là ! je n'invente rien.

PAULETTE
Oh !

SERGE
Oui, eh ! bien, après ?

JOHN
Eh bien ! je dis qu'un certificat comme ça, c'est comme si on n'en avait pas du tout ! pas vrai, Isidore ?

ISIDORE
Hein !

JOHN
Eh ! bien, tu peux pas te lever ! tu t'assieds devant les maîtres, maintenant ?

ISIDORE
Hein ! oui, non, je sais pas.

PAULETTE
Et puis, laissez donc Isidore tranquille ! Il n'a que faire avec vous ! il n'est plus de votre monde.

JOHN
T'es plus de mon monde ! Tiens ! tiens ! quéque t'as donc fait pour ça ?

PAULETTE
Ah ! et puis assez d'histoires comme ça, hein ? Je vous ai donné le certificat que vous méritiez.

JOHN
Vraiment !

PAULETTE
Ah ! sûr, alors ! pour une gouape ! un ivrogne.

JOHN
Ah ! mais, dites donc !

SERGE
Paulette, voyons !

PAULETTE
Ah ! fiche-moi la paix, toi Mêle-toi de ce qui te regarde.

SERGE
Ah, bien ! elle est raide !

JOHN
Monsieur l'entend, hein ! Monsieur l'entend !

PAULETTE
Oui, une gouape ! oui, un ivrogne.

TOUS
Voyons ! voyons.

JOHN
Ah ! mais, dites-donc, en voilà assez ! je suis poli avec vous, moi ! Espèce de grue !

PAULETTE
Qu'est-ce qu'il a dit ?

TOUS
Espèce de grue !

ISIDORE(froissé. )
Oh !

SERGE
Allez ! foutez-moi le camp ! foutez-moi le camp !

TOUS
Oui, oui, à la porte ! Allez-vous-en !

JOHN
Ah ! me touchez pas ! hein ! touchez pas !

SERGE
Allez ! videz le plancher !

JOHN
Je me plaindrai au Commissaire.

SERGE
Au pape, si vous voulez ! Allez ! allez faire vos malles et filez avec !

PAULETTE
Halte-là ! pas avant que je les aie visitées.

SERGE
Mais oui ! mais oui !

JOHN(Reparaissant. )
Madame a peur que je lui emporte un de ses amants ?

TOUS
Oh !

PAULETTE
Qu'est-ce que vous dites ?

TOUS(le poussant dehors. )
Voulez-vous foutre le camp !

JOHN
Touchez pas, là ! touchez pas ! Ah ! là, là ! attester… t.a.i. Malheur !
(Il sort, expulsé par tous les hommes.)

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