Acte I - Scène XVI



(LES MÊMES, SNOBINET, PUIS ISIDORE.)


SNOBINET
Là ! je suis prêt ! oh ! Pardon !

PAULETTE
Tiens ! je l'avais oublié. (Présentant.)
Monsieur Snobinet, un ami de mon ami.

SERGE
Hein !

PAULETTE
Son Altesse Royale de Valachie.

SNOBINET
Oh ! nom de Dieu !

PAULETTE
Monseigneur le prince Ivan Actinescu.

SNOBINET
Monsieur !

PAULETTE(vivement, bas. )
Mais, pas "monsieur", voyons !

SNOBINET
Euh ! Messire.

PAULETTE
Mais non !

SNOBINET
Excusez-moi ! Je cherche dans mes rôles.

PAULETTE(lui soufflant. )
Monseigneur !

SNOBINET
Monseigneur, c'est ça ! Je suis le vôtre.

PAULETTE
Monsieur Mittwoch.

SNOBINET
Monseigneur !

PAULETTE
Non, pas lui !

SNOBINET
Ah ! pardon.

MITTWOCH
Il n'y a pas d'offense.

ACTINESCU
Alors Monsieur, vous êtes artiste ?

SNOBINET
Euh ! monsieur ! euh ! oui, monseigneur.

ACTINESCU
De talent.

SNOBINET
Oui, Monseigne…

MITTWOCH
Oui, oui, et qu'est-ce que vous gagnez ?

SNOBINET
Oh, ben !… six cents francs. On n'est pas des princes.

MITTWOCH
Mais c'est très joli ! Gagner six cents francs en jouant la comédie ! Moi, je ne pourrais pas.

SNOBINET
Dame !… c'est un art !

MITTWOCH
Oui. Et qu'est-ce que vous faites de votre archent ?

SNOBINET
On me le saisit.

MITTWOCH
Oh ! C'est un tort !… pourquoi faites-vous ça ?

SNOBINET
Mais croyez bien que ce n'est pas moi !

PAULETTE(tout en pressant sur un bouton électrique. )
Je sonne pour dire qu'on mette votre couvert, Monseigneur.

ACTINESCU
Je suis confus…

PAULETTE
Ne faites pas ça, Monseigneur ! Je prie Votre Altesse de m'excuser si je la reçois ici. Mais mon salon est en déménagement et ma chambre n'est pas faite.

ACTINESCU
Je comprends ! (A Serge.)
Monsieur, je vous en félicite.

SERGE
Oh, ben ! non, non, monseigneur, vous êtes à côté.

ISIDORE
Madame a sonné ?

PAULETTE
Oui, vous mettrez un couvert de plus.

ISIDORE
Bien, madame. Voici le courrier.

PAULETTE
Merci.
(Elle pose les lettres.)


ACTINESCU
Je vous en prie, que nous ne vous empêchions pas de lire…

PAULETTE
Par obéissance, monseigneur. (Elle dépouille la première lettre. Après y avoir jeté les yeux.)
"Etude de Maître Lieugodet à Monsieur Raclure."

ISIDORE
Hein !

PAULETTE
Mais c'est pas pour moi, ça ! Qu'est-ce que c'est que ça, Monsieur Raclure ? C'est pas vous Isidore, qui vous appelez "Raclure" ?

ISIDORE
Si Madame.

PAULETTE
Vous connaissez donc des notaires ?

ISIDORE
J'ai servi chez un, mais ce ne doit pas être celui-là. Il est en prison.

PAULETTE(lui tendant la lettre. )
Tenez !

ISIDORE
Qu'est-ce qu'on peut bien me vouloir ? Il parcourt des yeux la lettre, pousse un cri étouffé et s'affale sur les genoux de Paulette.

TOUS
Ah !

PAULETTE(se lève aussitôt. Ce mouvement fait tomber Isidore par terre. )
Mais faites donc attention, espèce d'imbécile ! s'asseoir sur moi !

SNOBINET
Mais il se trouve mal !

PAULETTE
Je m'en fiche ! Il ne peut pas aller faire ces choses-là dans sa chambre ?

SERGE
Tenez, voilà de l'eau.

MITTWOCH(ramassant la lettre. )
Qu'est-ce qu'on lui annonce donc de si grave dans cette lettre ? (Il parcourt des yeux la lettre.)

MITTWOCH(tombant sur Actinescu. )
Ah ! (Il boit le verre d'eau apporté par Serge.)

TOUS
Quoi ?

MITTWOCH(essayant de lire. )
Je peux pas. J'ai plus de voix.
(Il passe la lettre à Serge.)


SERGE
Qu'est-ce qu'il y a donc ? (Après avoir parcouru la lettre des yeux.)
Ah !

TOUS
Quoi ?…

PAULETTE
Eh ! bien, quoi ?

SERGE
Poivrot, l'homme d'Amérique qui laisse cent millions !… Son héritier, c'est lui ! (Il désigne Isidore puis tombe assis sur une chaise.)
.

TOUS
Hein !

PAULETTE
Cent millions ! il hérite… ah ! ah !
(Elle tombe dans les bras d'Actinescu.)


SERGE(se levant. )
Allons bon ! elle aussi !

ACTINESCU(soutenant Paulette. )
Madame ! Madame !

PAULETTE(ouvrant les yeux. )
Non, non, ce n'est rien ! un étourdissement ! ça va bien… cent millions ! cent millions ! et vous le laissez là, par terre.

MITTWOCH
Mais oui ! mais oui ! mettez-le sur une chaise longue !

SNOBINET
Mais il n'y en a pas !

MITTWOCH
Ça ne fait rien, trouvez-en !

SERGE
Celle de la chambre ! attendez, je vais vous aider.

PAULETTE
Mais allez ! allez ! un peu d'humanité ! on n'a pas idée d'abandonner un malheureux comme ça !

MITTWOCH
Un malheureux qui a cent millions.

ACTINESCU
Tenez, voilà un fauteuil !

MITTWOCH
Un fauteuil ! un fauteuil ! est-ce que c'est assez un fauteuil !

PAULETTE
Mon flacon de sels, mes sels ! où sont mes sels ?

SERGE(apportant la chaise-longue, aidé par Snobinet. )
Voilà la chaise-longue.

PAULETTE
Bon ! mettez-la là !… là ! deux hommes, prenez-le bien doucement !

ACTINESCU
Attendez !
(Il le prend par-dessous les bras, Snobinet par les jambes.)


PAULETTE
Mais, espèce d'andouille !… euh ! je veux dire, monseigneur… vous ne voyez pas que vous le secouez ?

ACTINESCU
Pardon !
(On le pose sur la chaise-longue.)


PAULETTE(l'éventant avec une serviette. )
Isidore !… mon petit Isidore !… Isidore.

ISIDORE(se réveillant, d'une voix lointaine. )
Quoi ?

MITTWOCH
Il revient à lui.

TOUS
Oui.

ISIDORE
Qu'est-ce qu'il y a eu ? Pourquoi suis-je ici ?

PAULETTE
Isidore ! mon petit Isidore !

ISIDORE(voix mourante. )
Madame ! (Soudain.)
Ah ! oui, la lettre ! Ah ! mon Dieu ! dites-moi que je n'ai pas rêvé !

MITTWOCH
Isidore… du courage !…

ISIDORE
Hein ! j'ai rêvé ?

TOUS
Non ! non !

MITTWOCH
Vous héritez de cent millions !

ISIDORE(se levant d'un bond. )
Cent millions ! J'hérite de cent millions !

PAULETTE
(Isidore ! Mon petit Isidore !)


ISIDORE
Où sont-ils ? Où faut-il aller pour les chercher ?

MITTWOCH
Venez ! le notaire vous attend. (Lui tendant la lettre.)
Voici son adresse ! allez ! courez !

TOUS
Allez ! allez, Isidore !
(On le pousse vers la porte.)


ISIDORE
Cent millions ! j'ai cent millions à moi ! Ah ! ce qu'on va pouvoir en faire des économies !

MITTWOCH
Des économies ! des affaires, vous voulez dire, des affaires !…

TOUS
Allez ! allez !

ISIDORE
Mon mou ! où est mon mou ?

TOUS(instinctivement. )
Son mou ! Où est son mou ?

MITTWOCH(cherchant. )
Son mou ! son mou ! qu'est-ce que c'est que ça, son mou ?

ISIDORE
Mon chapeau mou ! Ah ! je sais… dans l'office !

PAULETTE
Non ! non ! bougez pas… le mou ! apportez le mou ! là ! là ! dans l'office.
(Tout le monde se précipite pour chercher le chapeau.)


TOUS
Voilà ! voilà !

PAULETTE
Ah ! Isidore, couvrez-vous bien ! ne prenez pas froid !

TOUS
Voilà ! voilà le mou !

ISIDORE
Merci… (Il remonte accompagné par tous.)
Ah ! mon Dieu !

TOUS
Quoi ?

ISIDORE
Et mon couvert qui n'est pas mis !

PAULETTE
Mais Philomèle le mettra ! Allez ! allez !

TOUS
Allez ! allez !

ISIDORE
Cent millions ! J'ai cent millions !

PAULETTE
Ah ! quel serviteur, cet Isidore !
(Rideau.)

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