ACTE IV - SCÈNE III



(L'armée polonaise en marche dans l'Ukraine.)

PERE UBU
Cornebleu, jambedieu, tête de vache ! nous allons périr, car nous mourons de soif et sommes fatigué. Sire Soldat, ayez l'obligeance de porter notre casque à finances, et vous, sire Lancier, chargez-vous du ciseau à merdre et du bâton à physique pour soulager notre personne, car, je le répète, nous sommes fatigué.
(Les soldats obéissent.)

PILE
Hon ! Monsieuye ! il est étonnant que les Russes n'apparaissent point.

PERE UBU
II est regrettable que l'état de nos finances ne nous permette pas d'avoir une voiture à notre taille; car, par crainte de démolir notre monture, nous avons fait tout le chemin à pied, traînant notre cheval par la bride. Mais quand nous serons de retour en Pologne, nous imaginerons, au moyen de notre science en physique et aidé des lumières de nos conseillers, une voiture à vent pour transporter toute l'armée.

COTICE
Voilà Nicolas Rensky qui se précipite.

PERE UBU
Et qu'a-t-il, ce garçon !

RENSKY
Tout est perdu, Sire, les Polonais sont révoltés, Giron est tué et la Mère Ubu est en fuite dans les montagnes.

PERE UBU
Oiseau de nuit, bête de malheur, hibou à guêtres ! Où as-tu péché ces sornettes ? En voilà d'une autre ! Et qui a fait ça ? Bougrelas, je parie. D'où viens-tu ?

RENSKY
De Varsovie, noble seigneur.

PERE UBU
Garçon de ma merdre, si je t'en croyais je ferais rebrousser chemin à toute l'armée. Mais, seigneur garçon, il y a sur tes épaules plus de plumes que de cervelle et tu as rêvé des sottises. Va aux avant-postes, mon garçon, les Russes ne sont pas loin et nous aurons bientôt à estocader de nos armes, tant à merdre qu'à phynances et à physique.

LE GÉNÉRAL LASCY
Père Ubu, ne voyez-vous pas dans la plaine les Russes ?

PERE UBU
C'est vrai, les Russes ! Me voilà joli. Si encore il y avait moyen de s'en aller, mais pas du tout, nous sommes sur une hauteur et nous serons en butte à tous les coups.

L'ARMÉE
Les Russes ! L'ennemi !

PERE UBU
Allons, messieurs, prenons nos dispositions pour la bataille. Nous allons rester sur la colline et ne commettrons point la sottise de descendre en bas. Je me tiendrai au milieu comme une citadelle vivante et vous autres graviterez autour de moi. J'ai à vous recommander de mettre dans les fusils autant de balles qu'ils en pourront tenir, car 8 balles peuvent tuer 8 Russes et c'est autant que je n'aurai pas sur le dos. Nous mettrons les fantassins à pied au bas de la colline pour recevoir les Russes et les tuer un peu, les cavaliers derrière pour se jeter dans la confusion, et l'artillerie autour du moulin à vent ici présent pour tirer dans le tas. Quant à nous, nous nous tiendrons dans le moulin à vent et tirerons avec le pistolet à phynances par la fenêtre, en travers de la porte nous placerons le bâton à physique, et si quelqu'un essaye d'entrer, gare au croc à merdre !!!

OFFICIERS
Vos ordres, Sire Ubu, seront exécutés.

PERE UBU
Eh ! cela va bien, nous serons vainqueurs. Quelle heure est-il?

LE GÉNÉRAL LASCY
Onze heures du matin.

PERE UBU
Alors, nous allons dîner, car les Russes n'attaqueront pas avant midi. Dites aux soldats, seigneur Général, de faire leurs besoins et d'entonner la Chanson à Finances.
(LASCY s'en va.)

SOLDATS ET PALOTINS
Vive le Père Ubé, notre grand Financier ! Ting, ting, ting ; ting, ting, ting ; ting, ting, tating !

PERE UBU
Ô les braves gens, je les adore. (Un boulet russe arrive et casse l'aile du moulin.)
Ah ! j'ai peur, Sire Dieu, je suis mort ! et cependant non, je n'ai rien.

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