ACTE IV - SCENE IV



LES MEMES, UN CAPITAINE, puis l'armée russe
UN CAPITAINE, arrivant. Sire Ubu, les Russes attaquent.

PERE UBU
Eh bien, après, que veux-tu que j'y fasse ? ce n'est pas moi qui le leur ai dit. Cependant, Messieurs des Finances, préparons-nous au combat.

LE GÉNÉRAL LASCY
Un second boulet.

PERE UBU
Ah ! je n'y tiens plus. Ici il pleut du plomb et du fer et nous pourrions endommager notre précieuse personne. Descendons. (Tous descendent au pas de course. La bataille vient de s'engager. Ils disparaissent dans des torrents de fumée au pied de la colline.)

UN RUSSE(frappant.)
Pour Dieu et le Czar !

RENSKY
Ah ! je suis mort.

PERE UBU
En avant! Ah, toi, Monsieur, que je t'attrape, car tu m'as fait mal, entends-tu ! sac à vin ! avec ton flingot qui ne part pas.

LE RUSSE
Ah ! voyez-vous ça. (Il lui tire un coup de revolver.)

PERE UBU
Ah ! Oh ! Je suis blessé, je suis troué, je suis perforé, je suis administré, je suis enterré. Oh, mais tout de même ! Ah ! je le tiens. (Il le déchire.)
Tiens ! recommenceras-tu, maintenant !

LE GÉNÉRAL LASCY
En avant, poussons vigoureusement, passons le fossé, la victoire est à nous.

PERE UBU
Tu crois ? Jusqu'ici je sens sur mon front plus de bosses que de lauriers.

CAVALIERS RUSSES
Hurrah ! Place au Czar !
(Le Czar arrive accompagné de Bordure déguisé.)

UN POLONAIS
Ah ! Seigneur ! Sauve qui peut, voilà le Czar !

UN AUTRE
Ah ! mon Dieu ! il passe le fossé.

UN AUTRE
Pif! Paf! en voilà quatre d'assommés par ce grand bougre de lieutenant.

BORDURE
Ah! vous n'avez pas fini, vous autres! Tiens, Jean Sobiesky, voilà ton compte. (Il l'assomme.)
À d'autres, maintenant ! (Il fait un massacre de Polonais.)

PERE UBU
En avant, mes amis ! Attrapez ce bélître ' ! En compote les Moscovites ! La victoire est à nous. Vive l'Aigle Rouge!

TOUS
En avant ! Hurrah ! Jambedieu ! Attrapez le grand bougre.

BORDURE
Par saint Georges, je suis tombé.

PERE UBU(le reconnaissant.)
Ah ! c'est toi, Bordure ! Ah ! mon ami. Nous sommes bien heureux ainsi que toute la compagnie de te retrouver. Je vais te faire cuire à petit feu. Messieurs des Finances, allumez du feu. Oh ! Ah ! Oh ! Je suis mort. C'est au moins un coup de canon que j'ai reçu. Ah ! mon Dieu, pardonnezmoi mes péchés. Oui, c'est bien un coup de canon.

BORDURE
C'est un coup de pistolet chargé à poudre.

PERE UBU
Ah ! tu te moques de moi ! Encore ! À la poche ! (Il se rue sur lui et le déchire.)

LE GÉNÉRAL LASCY
Père Ubu, nous avançons partout.

PERE UBU
Je le vois bien, je n'en peux plus, je suis criblé de coups de pied, je voudrais m'asseoir par terre. Oh ! ma bouteille.

LE GÉNÉRAL LASCY
Allez prendre celle du Czar, Père Ubu.

PERE UBU
Eh ! j'y vais de ce pas. Allons ! sabre à merdre, fais ton office, et toi, croc à finances, ne reste pas en arrière. Que le bâton à physique travaille d'une généreuse émulation et partage avec le petit bout de bois l'honneur de massacrer, creuser et exploiter l'Empereur moscovite. En avant, Monsieur notre cheval à finances !
(Il se rue sur le Czar.)

UN OFFICIER RUSSE
En garde, Majesté !

PERE UBU
Tiens, toi ! Oh ! aïe ! Ah ! mais tout de même. Ah ! monsieur, pardon, laissez-moi tranquille. Oh ! mais, je n'ai pas fait exprès !
(Il se sauve. Le Czar le poursuit.)

PERE UBU
Sainte Vierge, cet enragé me poursuit! Qu'ai-je fait, grand Dieu ! Ah ! bon, il y a encore le fossé à repasser. Ah ! je le sens derrière moi et le fossé devant ! Courage, fermons les yeux.
(Il saute le fossé. Le Czar y tombe.)

LE CZAR
Bon, je suis dedans.

POLONAIS
Hurrah ! Le Czar est à bas !

PERE UBU
Ah! j'ose à peine me retourner! Il est dedans. Ah! c'est bien fait et on tape dessus. Allons, Polonais, allez-y à tour de bras, il a bon dos le misérable ! Moi je n'ose pas le regarder ! Et cependant notre prédiction s'est complètement réalisée, le bâton à physique a fait merveilles et nul doute que je ne l'eusse complètement tué si une inexplicable terreur n'était venue combattre et annuler en nous les effets de notre courage. Mais nous avons dû soudainement tourner casaque, et nous n'avons dû notre salut qu'à notre habileté comme cavalier ainsi qu'à la solidité des jarrets de notre cheval à finances, dont la rapidité n'a d'égale que la stabilité et dont la légèreté fait la célébrité, ainsi qu'à la profondeur du fossé qui s'est trouvé fort à propos sous les pas de l'ennemi de nous l'ici présent Maître des Phynances. Tout ceci est fort beau, mais personne ne m'écoute.
Allons ! bon, ça recommence !
(Les Dragons russes font une charge et délivrent le Czar.)

LE GÉNÉRAL LASCY
Cette fois, c'est la débandade.

PERE UBU
Ah ! voici l'occasion de se tirer des pieds. Or donc, Messieurs les Polonais, en avant ! ou plutôt, en arrière !

POLONAIS
Sauve qui peut !

PERE UBU
Allons ! en route. Quel tas de gens, quelle fuite, quelle multitude, comment me tirer de ce gâchis ? (Il est bousculé.)
Ah ! mais toi ! fais attention, ou tu vas expérimenter la bouillante valeur du Maître des Finances. Ah ! il est parti, sauvons-nous et vivement pendant que Lascy ne nous voit pas. (Il sort, ensuite on voit passer le Czar et l'Armée russe poursuivant les Polonais.)

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