ACTE III - SCÈNE II



PERE UBU, MERE UBU, officiers et soldats, GIRON, PILE, COTICE, Nobles enchaînés, financiers, magistrats, greffiers.
(La grande salle du palais.)

PERE UBU
Apportez la caisse à Nobles et le crochet à Nobles et le couteau à Nobles et le bouquin à Nobles ! ensuite, faites avancer les Nobles.
(On pousse brutalement les Nobles.)

MERE UBU
De grâce, modère-toi, Père Ubu.

PERE UBU
J'ai l'honneur de vous annoncer que pour enrichir le royaume je vais faire périr tous les Nobles et prendre leurs biens.

NOBLES
Horreur ! à nous, peuple et soldats !

PERE UBU
Amenez le premier Noble et passez-moi le crochet à Nobles. Ceux qui seront condamnés à mort, je les passerai dans la trappe, ils tomberont dans les sous-sols du Pince-Porc et de la Chambre-àsous, où on les décervèlera. — (Au Noble.)
Qui es-tu, bouffre ?

LE NOBLE
Comte de Vitepsk.

PERE UBU
De combien sont tes revenus ?

LE NOBLE
Trois millions de rixdales.

PERE UBU
Condamné ! (Il le prend avec le crochet et le passe dans le trou.)

MERE UBU
Quelle basse férocité !

PERE UBU
Second Noble, qui es-tu? (Le Noble ne répond rien.)
Répondras-tu, bouffre ?

LE NOBLE
Grand-duc de Posen.

PERE UBU
Excellent ! excellent ! Je n'en demande pas plus long. Dans la trappe. Troisième Noble, qui es-tu ? tu as une sale tête.

LE NOBLE
Duc de Courlande, des villes de Riga, de Revel et de Mitau.

PERE UBU
Très bien ! très bien ! Tu n'as rien autre chose ?

LE NOBLE
Rien.

PERE UBU
Dans la trappe, alors. Quatrième Noble, qui es-tu ?

LE NOBLE
Prince de Podolie.

PERE UBU
Quels sont tes revenus ?

LE NOBLE
Je suis ruiné.

PERE UBU
Pour cette mauvaise parole, passe dans la trappe. Cinquième Noble, qui es-tu ?

LE NOBLE
Margrave de Thorn, palatin de Polock.

PERE UBU
Ça n'est pas lourd. Tu n'as rien autre chose?

LE NOBLE
Cela me suffisait.

PERE UBU
Eh bien ! mieux vaut peu que rien. Dans la trappe. Qu'as-tu à pigner, Mère Ubu ?

MERE UBU
Tu es trop féroce, Père Ubu.

PERE UBU
Eh ! je m'enrichis. Je vais faire lire MA liste de MES biens. Greffier, lisez MA liste de MES biens.

LE GREFFIER
Comté de Sandomir.

PERE UBU
Commence par les principautés, stupide bougre !

LE GREFFIER
Principauté de Podolie, grand-duché de Posen, duché de Courlande, comté de Sandomir, comté de Vitepsk, palatinat de Polock, margraviat de Thorn.

PERE UBU
Et puis après ?

LE GREFFIER
C'est tout.

PERE UBU
Comment, c'est tout ! Oh bien alors, en avant les Nobles, et comme je ne finirai pas de m'enrichir je vais faire exécuter tous les Nobles, et ainsi j'aurai tous les biens vacants. Allez, passez les Nobles dans la trappe. (On empile les Nobles dans la trappe.)
Dépêchez-vous plus vite, je veux faire des lois maintenant.

PLUSIEURS
On va voir ça.

PERE UBU
Je vais d'abord réformer la justice, après quoi nous procéderons aux finances.

PLUSIEURS MAGISTRATS
Nous nous opposons à tout changement.

PERE UBU
Merdre. D'abord les magistrats ne seront plus payés.

MAGISTRATS
Et de quoi vivrons-nous ? Nous sommes pauvres.

PERE UBU
Vous aurez les amendes que vous prononcerez et les biens des condamnés à mort.

UN MAGISTRAT
Horreur.

DEUXIÈME MAGISTRAT
Infamie.

TROISIÈMEMAGISTRAT
Scandale.

QUATRIÈME MAGISTRAT
Indignité.

TOUS
Nous nous refusons à juger dans des conditions pareilles.

PERE UBU
À la trappe les magistrats ! (Ils se débattent en vain.)

MERE UBU
Eh ! que fais-tu, Père Ubu ? Qui rendra maintenant la justice ?

PERE UBU
Tiens ! moi. Tu verras comme ça marchera bien.

MERE UBU
Oui, ce sera du propre.

PERE UBU
Allons, tais-toi, bouffresque. Nous allons maintenant, messieurs, procéder aux finances.

FINANCIERS
II n'y a rien à changer.

PERE UBU
Comment, je veux tout changer, moi. D'abord je veux garder pour moi la moitié des impôts.

FINANCIERS
Pas gêné.

PERE UBU
Messieurs, nous établirons un impôt de dix pour cent sur la propriété, un autre sur le commerce et l'industrie, et un troisième sur les mariages et un quatrième sur les décès, de quinze francs chacun.

PREMIER FINANCIER
Mais c'est idiot, Père Ubu.

DEUXIÈME FINANCIER
C'est absurde.

TROISIÈME FINANCIER
Ça n'a ni queue ni tête.

PERE UBU
Vous vous fichez de moi ! Dans la trappe les financiers ! (On enfourne les financiers.)

MERE UBU
Mais enfin, Père Ubu, quel roi tu fais, tu massacres tout le monde.

PERE UBU
Eh merdre !

MERE UBU
Plus de justice, plus de finances.

PERE UBU
Ne crains rien, ma douce enfant, j'irai moi-même de village en village recueillir les impôts.

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