Acte I - Scène III



Les mêmes, Noémie, puis Olympe

Noémie
Madame, c'est madame Chantrot.

Trévelin
Oui, on sait ! (Allant à la porte.)
Venez Olympe ! entrez Olympe !

Emilienne
Toi !

Trévelin
Vous arrivez bien, je sors ! Vous allez tenir compagnie à Emilienne ! Vous m'excusez ! Je vais me laver les mains. Mais je ne partirai pas sans vous dire adieu… A tout à l'heure.
(Il sort, Noémie est sortie également.)

Olympe (ahurie par sa faconde)
Oh !

Emilienne
Eh bien ! qu'est-ce qui t'amène ?

Olympe
Moi !

Emilienne
Oui, je t'ai quittée à cinq heures ; tu devais te coucher parce que tu avais mal à la tête, et te voilà ? Qu'est-ce qu'il y a ?

Olympe
Il y a !… que j'étouffe.

Emilienne
Toi aussi ? C'est le temps, alors.

Olympe
Mon mari me trompe !

Emilienne
Chantrot ! Qu'est-ce que tu me dis là ?

Olympe
La vérité ! J'en ai eu la preuve tout à l'heure ! Alors mon sang n'a fait qu'un tour, j'étais comme une folle ! instinctivement, j'ai couru chez toi.

Emilienne
Ma pauvre Olympe !

Olympe
Oh ! mais je me vengerai.

Emilienne
Allons ! voyons ! voyons ! Ne dis pas des choses pareilles. C'est indigne de toi ! Se venger ! est-ce que c'est une solution, est-ce que cela a jamais arrangé quelque chose ?

Olympe
C'est une satisfaction ! C'est au moins ça !

Emilienne
Mais non ! mais non ! Ça se fait au théâtre ! Mais dans la vie ! garde donc le beau rôle ! la véritable satisfaction, tu la trouveras dans la conscience de ta supériorité.

Olympe
Me tromper, moi ! après quatre ans de mariage !

Emilienne
Eh bien, oui ! qu'est-ce que tu veux ! tu n'es pas la première et tu ne seras pas la dernière.

Olympe
Mais ça m'est égal, les autres !

Emilienne
Ah ! oui, je sais bien ! Charité bien ordonnée… D'abord, qu'est-ce qui te dit qu'il te trompe ?

Olympe
Parce que j'en ai la preuve.

Emilienne
La preuve ! la preuve ! Ça ne prouve souvent rien les preuves.

Olympe
Ah ! ben, qu'est-ce qui te faut ! Tiens ! viens un peu ! Sors du lit ! passe ta matinée !

Emilienne
Que je… ?

Olympe (tout en fouillant dans son réticule)
Oui, oui ! Allez, lève-toi et viens !

Emilienne (sortant du lit et passant sa matinée)
Voilà ! je me lève ! qu'est-ce qu'il y a ?

Olympe (brandissant un buvard à main devant la glace au-dessus de la commode)
Tiens, lis !

Emilienne
Qu'est-ce que c'est que ça ?

Olympe
Le buvard de mon mari ! Ah ! les criminels ne pensent pas à tout ! les lettres partent, mais les buvards restent. Et celui-là a tout bu ! Lis ! lis !

Emilienne
Oh ! que c'est imprudent d'écrire des lettres compromettantes avec une plume d'oie. (Lisant :)
"Mon bon vieux". Qui c'est, le bon vieux ?

Olympe
Est-ce que je sais ? Quelque ami de mon mari puisqu'il lui écrit. Va toujours !

Emilienne
"N'oublie pas le souper de ce soir ; chacun amène sa chacune. "

Olympe (avec rage)
Hein ?

Emilienne
Ah ! oui ! "Tu amènes ta choute, Trévelin sa Blanche. "… Quoi !

Olympe
Ah ! c'est vrai, au fait, ton mari en est.

Emilienne
Oh ! c'est trop fort ! et tu ne me dis pas tout de suite…

Olympe
Oh ! qu'est ce que tu veux ! J'étais tellement préoccupée par ma situation, à moi.

Emilienne
Oh ! naturellement !… une maîtresse ! une maîtresse ! Oh ! mais je me vengerai.

Olympe
Ah ! Ah ! tu vois, tu vois ! Quand tu me disais tout à l'heure.

Emilienne
Ah ! oui. Mais moi, ce n'est pas la même chose ! Songe qu'il y a à peine huit mois que nous sommes mariés.

Olympe
Et moi, quatre ans.

Emilienne
Eh bien, oui, huit mois ou quatre ans il y a une différence ! et puis, moi c'était un mariage d'amour.

Olympe
Moi aussi.

Emilienne
Oui enfin, tu l'aimais ! Qu'est-ce que tu veux toi, toi, tu as épousé un homme qui avait neuf ans de moins que toi.

Olympe
Pardon, sept.

Emilienne
Eh bien, oui soit ! il a peut-être deux ans de plus que je ne croyais.

Olympe
Du tout, c'est moi qui en ai deux de moins.

Emilienne
Enfin, tu savais ce que tu risquais ! mais nous, nous qui nous sommes normalement accouplés !…

Olympe
C'est tout de même pas une raison parce qu'un homme a quelque mois de plus que vous…

Emilienne
Quand je pense que tout à l'heure encore, il faisait l'hypocrite.

Olympe
Eh bien, moi, figure-toi…

Emilienne
Il disait qu'il avait besoin d'air, c'était pour aller la retrouver.

Olympe
On lui aurait donné le bon Dieu sans confession.

Emilienne
A mon mari ?

Olympe
Non, au mien !

Emilienne
Eh ! le tien ! le tien ! fiche-moi la paix avec le tien ! Tu me parles tout le temps de ton mari, quand je te parle du mien ! Vraiment tu es d'un égoïsme.

Olympe
Mais enfin !…

Emilienne
Tu n'avais qu'à ne pas te marier ! Oh ! mais nous nous vengerons.

Olympe
Oh ! oui, nous nous vengerons !

Emilienne
Sa Blanche ! Sa Blanche, qu'est-ce que c'est que sa Blanche ?

Olympe
Quelque dinde ! Comme celle à mon mari.

Emilienne
Evidemment ! mais c'est insuffisant comme signalement ! Attends ! mon Dieu ! est-ce que ce ne serait pas ?

Olympe
Quoi ?

Emilienne
Tu me disais l'autre jour que tu avais cru reconnaître mon mari en auto avec une petite cabotine de Marigny.

Olympe
La petite Demouzy, oui !

Emilienne
Blanche ? Est-ce qu'elle s'appelle Blanche ?

Olympe
Je ne sais pas, moi. Je ne la fréquente pas.

Emilienne (prenant l'annuaire du téléphone)
Nous allons bien voir. Elle doit avoir le téléphone… Une grue, ça a toujours le téléphone.

Olympe
Oh ! comme les femmes du monde.

Emilienne (cherchant)
Demouzy, de de de…

Olympe
Non pas De… de… de ! … cherche "M" elle est noble.

Emilienne
Evidemment, je suis bête ! pour ce que ça lui coûte. (Cherchant.)
M… M… M… Monval, Montel, Moru…

Olympe
Ah ! tu l'as !

Emilienne
Mais non ! attends ! Ah ! Mouzy. "Voilà ! ", Blanche de Mouzy" 19, rue Marbeuf, c'est bien ça.

Olympe
Et toi, 14, rue François Ier, c'est commode, il n'a pas loin à aller.

Emilienne
Blanche de Mouzy, 626-36… Oh !

Olympe
Quoi ?

Emilienne
Le numéro qu'Alcide n'avait pas demandé tout à l'heure. Ah ! j'en aurai le cœur net.
(Elle appelle au téléphone.)

Olympe
Qu'est-ce que tu fais ?

Emilienne
Je la demande. (Au téléphone.)
Allo !… le 626-36.

Olympe
Tu vas te commettre avec elle.

Emilienne
Un peu que je vais me commettre !

Olympe
Oh ! non, quand je pense que mon mari…

Emilienne
Oui, oui, tais-toi ! (Au téléphone.)
C'est le 626-36 ? Je voudrais parler à Madame de Mouzy… Ah ! c'est elle ! (Les dents serrées.)
Parfait ! parfait ! C'est de la part de Monsieur Trévelin. Madame attend bien M. Trévelin ce soir ?

Olympe
Quand on pense que c'est ces femmes-là…

Emilienne (à Olympe)
Chut donc ! (A l'appareil.)
C'est la femme de chambre, Madame. Madame peut parler en toute confiance. Monsieur m'a mise dans la confidence… (Avec un sourire rageur.)
C'est ça Madame, oui, je suis de mèche ! comme Madame dit, je suis de mèche !… Comment ? s'il va faire droguer Madame encore longtemps !

Olympe
Ce ton !

Emilienne
Non, Madame, Monsieur ne va pas faire droguer encore longtemps Madame ! Seulement Monsieur ne pouvait pas téléphoner à Madame ni s'en aller parce que Madame Trévelin était là jusqu'à l'instant… elle vient justement de partir en soirée. Si Madame veut, je vais appeler Monsieur. Maintenant il va pouvoir parler à Madame.

Olympe
Comment tu…

Emilienne
Chut ! (A l'appareil.)
Bien, Madame je vais appeler Monsieur, que Madame reste à l'appareil ! (Elle pose le récepteur sans l'accrocher. A Olympe, à mi-voix.)
Je crois que c'est clair.

Olympe
Dire que mon mari me disait encore ce matin…

Emilienne
Ah ! mais, encore, une fois, fiche-moi la paix avec ton mari. (Elle est allée jusqu'à la porte par laquelle est sorti son mari. Ouvrant et appelant :)
Alcide !

Voix d'Alcide
Quoi ?

Emilienne
Veux-tu venir, il y a quelqu'un qui te demande au téléphone.

Voix d'Alcide
Moi ?

Emilienne
Oui.

Voix d'Alcide (étonné)
Tiens !

Emilienne (prenant le récepteur)
Voilà Madame ! Monsieur vient.

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