ACTE IV - SCENE PREMIERE



(ETEOCLE CREON,)


ETEOCLE
OUy, Creon, c'est icy qu'il doit bien-tost se rendre,
Et tous deux en ce lieu nous le pouvons attendre,
Nous verrons ce qu'il veut, mais je répondrois bien,
Que par cette entreveüe on n'avancera rien.
Je connoy que Polinice & son humeur altiere,
Je sçay bien que sa haine est encor toute entiere,
Ie ne croy pas qu'on puisse en arrester le cours,
Et pour moy je sens bien que je le hay toûjours.

CREON
Mais s'il vous cede enfin la grandeur souveraine,
Vous devez ce me semble appaisa vostre haine.

ETEOCLE
Je ne sçay si mon cœur s'appaisera jamais,
Ce n'est pas son orgüeil, c'est luy seul que je hais.
Nous avons l'un & l'autre une haine obstinée.
Elle n'est pas, Creon, l'ouvrage d'une année,
Elle est née avec nous, & sa noire fureur,
Aussi-tost que la vie entra dans nostre cœur.
Nous estions ennemis dés la plus tendre enfance,
Et déja nous l'estions avecque violence,
Nous le sommes au Trosne aussi bien qu'au berceau,
Et le serons peut-estre encor dans le Tombeau.
On diroit que le Ciel par un arrest funeste,
Voulut de nos parens punir ainsi l'inceste,
Et que dans nostre Sang il voulut mettre au jour
Tout ce qu'a de plus noir & la haine & l'amour.
Et maintenant, Creon, que j'attens & venuë,
Ne croy pas que pour luy ma haine diminuë.
Plus il approche, & plus il me semble odieux,
Et sans doute il faudra qu'elle éclatte à ses yeux.
J'aurois mesme regret qu'il me quittast l'Empire,
Il faut, il faut qu'il fuye, & non qu'il se retire.
Je ne veux point, Creon, le haïra moitié,
Et je crains fon courroux moins que Con amitié.
Je veux pour donner cours à mon ardente haine,
Que sa fureur au moins autorise la mienne,
Et puisqu'enfin mon cœur ne sçauroit se trahir,
Je veux qu'il me deteste afin de le haïr.
Tu verras que sa rage est encore la mesme,
Et que toûjours son cœur aspire au Diadéme.
Qu'il m'abhorre toûjours, & veut toûjours regner,
Et qu'on peut bien le vaincre & non pas le gaigner.

CREON
Domtez-le donc, Seigneur, s'il demeure inflexible.
Quelque fier qu'il puisse estre il n'est pas invincible,
Et puisque la raison ne peut rien sur son cœur,
Eprouvez ce que peut un bras toûjours vainqueur.
Oüy, quoy que dans la Paix, je trouvasse des charmes,
Je seray le premier à reprendre les armes,
Et si je demandois qu'on en rompist le cours,
Je demande encor plus que vous regniez toûjours.
Que la Guerre s'enflamme & jamais ne finisse,
La Paix est trop cruelle avecque Polinice,
Sa presence aigriroit ses charmes les plus doux,
Et la guerre, Seigneur, nous plaist avecque vous.
Tout le Peuple Thebain vous parle par ma bouche,
Ne le soumettez pas à ce prince farouche,
Si la Paix se peut faire il la veut comme moy.
Sur tout, si vous l'aimez, conservez luy son Roy.
Cependant écoutez le Prince vostre Frere,
Et s'il se peut, Seigneur, cachez vostre colere.
Feignez… Mais quelqu'un vient.

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