ACTE I - SCENE III



(IOCASTE ANTIGONE,ETEOCLE, OLYMPE.)


IOCASTE
OLympe, soûtiens-moy, ma douleur est extréme,

ETEOCLE
Madame qu'avez-vous ? Et quel mal si caché…

IOCASTE
Ah ! mon Fils, de quel sang revenez-vous taché ?
Est-ce du sang d'un Frere, ou n'est-ce point du vostre ?

ETEOCLE
Non, Madame, ce n'est ni de l'un ni de l'autre.
Polinice à mes yeux ne s'est point presenté,
Et l'on s'est peu battu d'un & d'autre costé.
Du Camp des Argiens une troupe hardie,
M'a voulu de nos murs disputer la sortie.
J'ay fait mordre la poudre à ces audacieux,
Et leur sang est celuy qui paroist à vos yeux.

IOCASTE
Mais pourquoy donc sortir auecque vostre armée ?
Quel est ce mouvement qui m'a tant alarmée ?

ETEOCLE
Madame, il estoit temps que j'en usasse ainsy,
Et je perdois ma gloire à demeurer icy.
Je n'ay que trop langui derriere une muraille,
Je brûlois de me voir en un champ de bataille.
Lors que l'on peut paroistre au milieu des hazards
Un grand cœur est honteux de garder des rempars.
J'estois las d'endurer que le fier Polinice
Me reprochast tout haut cét indigne exercice,
Et criast aux Thebains, afin de les gagner,
Que je laissois aux fers ceux qui me font regner.
Le Peuple à qui la faim se faisoit déja craindre,
De mon peu de vigueur commençoit à se plaindre,
Me reprochant déja qu'il m'avoit couronné,
Et que j'occupois mal le rang qu'il m'a donné.
Il le faut satisfaire, & quoy-qu'il en arrive,
Thebes dés aujourd'huy ne sera plus captive,
Je veux, en n'y laissant aucun de mes soldats,
Quelle soit seulement juge de nos combats.
J'ay des forces assez pour tenir la camgagne,
Et si quelque bon-heur nos armes accompagne,
L'insolent Polinice & ses fiers Alliez,
Laiseront Thebes libre, ou mourront à mes piez.

IOCASTE
Vous preserve le Ciel d'une telle Victoire.
Thebes ne veut point voir une action si noire,
Laissez-là son salut & n'y songez jamais ;
La Guerre vaut bien mieux que cette affreuse Paix.
Vous-mesme d'un tel sang soüilleriez-vous vos Armes ?
La Couronne pour vous a-t'elle tant de charmes ?
Si par un parricide il la falloit gagner,
Ah ! mon fils, à ce prix voudriez-vous regner ?
Mais il ne tient qu'à vous si l'honneur vous anime,
De nous donner la Paix, sans le secours d'un crime.
Vous pouvez-vous montrer genereux tout à fait,
Contenter vostre Frere, & regner en effet.

ETEOCLE
Appellez-vous regner lui ceder ma Couronne,
Quand le sang, & le Peuple à la fois me la donne ?

IOCASTE
Vous le sçavez, mon Fils, la justice & le sang
Luy donnent comme à vous sa part à ce haut rang.
Oedipe en achevant sa triste destinée
Ordonna que chacun regneroit son année,
Et n'ayant qu'un Estat à mettre sous vos Loix,
Il voulut que tous deux vous en fussiez les Rois.
A ces conditions vous voulustes souscrire,
Le sort vous appella le premier à l'Empire,
Vous montastes au Trosne, il n'en fut point jaloux,
Et vous ne voulez pas qu'il y monte apres vous ?

ETEOCLE
Non, Madame, à l'Empire il ne doit plus prétendre.
Thebes sous son pouvoir n'a point voulu se rendre,
Et lors que sur le Trosne il s'est voulu placer,
C'est elle & non pas moy qui l'en a sçeu chasser.
Thebes doit-elle moins redouter sa puissance,
Apres avoir six mois senti sa violence ?
Voudroit-elle obeïr à ce Prince inhumain
Qui vient d'armer contre elle & le fer & la faim ?
Prendroit-elle pour Roy l'Esclave de Mycéne
Qui pour tous les Thebains n'a plus que de la haine,
Qui s'est au Roy d'Argos indignement soûmis,
Et que l'Hymen attache à nos fiers ennemis ?
Lors que le Roy d'Argos l'a choisi pour son Gendre,
Il esperoit par luy de voir Thebes en cendre,
L'amour eut peu de part à cet hymen honteux,
Et la seule fureur en alluma les feux.
Thebes m'a couronné pour éviter ses chaisnes.
Elle s'attend par moy de voir finir ses peines,
Il la faut accuser si je manque de Foy,
Et je suis son Captif, je ne suis pas son Roy.

IOCASTE
Dites, dites plûtost, cœur ingrat & farouche,
Qu'auprés du Diadéme il n'est rien qui vous touche.
Mais je me trompe encor ce rang ne vous plaist pas,
Et le crime tout seul a pour vous des appas.
He bien ! puis qu'à ce point vous en estes avide,
Je vous offre à commettre un double parricide,
Versez le sang d'un Frere : Et si c'est peu du sien.
Je vous invite encore à répandre le mien.
Vous n'aurez plus alors d'ennemis à soûmettre,
D'obstacle à surmonter ni de crime à commettre,
Et n'ayant plus au Trosne un fâcheux concurrant,
De tous les Criminels vous serez le plus grand.

ETEOCLE
Hé bien, Madame, hé bien, il faut vous satisfaire,
Il faut sortir du Trosne & couronner mon frere,
Il faut pour seconder vostre injuste projet,
De son Roy que j'estois devenir son Sujet.
Et pour vous élever au comble de la joye ;
Il faut à sa fureur que je me livre en proye,
Il faut par mon trépas…

IOCASTE
Ah Ciel ! quelle rigueur !
Que vous penetrez mal dans le fonds de mon cœur !
Je ne demande pas que vous quittiez l'Empire.
Regnez toûjours, mon Fils, c'est ce que je desire.
Mais si tant de mal-heurs vous touchent de pitié,
Si pour moy vostre cœur garde quelque amitié ;
Et si vous prenez soin de vostre gloire mesme,
Associez un Frere à cet honneur supréme ;
Ce n'est qu'un vain éclat qu'il recevra de vous,
Vostre regne en sera plus puissant & plus doux.
Les Peuples admirant cette vertu sublime,
Voudront toûjours pour Prince un Roy si magnanime,
Et cét illustre effort, loin d'affoiblir vos droits,
Vous rendra le plus juste & le plus grand des Rois.
Ou s'il faut que mes vœux vous trouvent inflexible,
Si la Paix à ce prix vous paroist impossible,
Et si le Diadême a pour vous tant d'attraits,
Au moins consolez moy de quelque heure de paix.
Accordez quelque tréve à ma douleur amere,
Et cependant, mon Fils, j'iray voir vostre Frere.
La pitié dans son ame aura peut-estre lieu,
Ou du moins pour jamais j'iray luy dire adieu.
Dés ce mesme moment permettez que je sorte,
J'iray jusqu'à sa tente, & j'iray sans escorte,
Dans cette occasion rien ne peut m'émouvoir.

ETEOCLE
Madame, sans sortir vous le pouvez revoir.
Et si cette entreveuë à pour vous tant de charmes,
Il ne tiendra qu'à luy de suspendre nos armes,
Vous pouvez dés cette heure accomplir vos souhaits
Et le faire venir jusques dans ce Palais.
Je feray plus encor, & pour faire connaistre,
Qu'il a tort en effet de me nommer un traistre,
Et que je ne suis pas un tyran odieux,
Que l'on fasse parler & le Peuple & les dieux.
Si le Peuple y veut, je luy cede ma place.
Mais qu'il se rende aussy si le Peuple le chasse,
Je ne force personne, & j'engage ma foy
De laisser aux Thebains à se choisir un Roy.

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