ACTE III - SCENE IV



(IOCASTE ETEOCLE,ANTIGONE CREON.)


IOCASTE
MOn Fils, c'est donc ainsi que l'on garde sa foy ?

ETEOCLE
Madame ce combat n'est point venu de moy,
Mais de quelques Soldats tant des Grecs que des norstres,
Qui s'estant querellez les uns avec les autres,
Ont insensiblement tout le corps ébranlé,
Et fait un grand combat d'un simple démeslé.
La bataille sans doute alloit estre cruelle,
Et son évenement vuidoit nostre querelle,
Quand du Fils de Créon le funeste trépas,
Des Thebains & des Grecs a retenu le bras.
Ce Prince le dernier de la race Royale,
S'est appliqué des Dieux la réponse fatale,
Et luy-mesme à la mort il s'est precipité,
De l'amour du pays noblement transporté.

IOCASTE
Ah ! si le seul amour qu'il eut pour sa patrie,
Le rendit insensible aux douceurs de la vie,
Mon Fils ce mesme amour ne peut-il seulement,
De vostre ambition vaincre l'emportement ?
Un exemple si beau vous invite à le suivre,
Il ne faudra cesser de regner ni de vivre.
Vous pouvez en cedant un peu de vostre rang,
Faire plus qu'il n'a fait en versant tout son sang.
Il ne faut que cesser de haïr vostre Frere,
Vous ferez beaucoup plus que sa mort n'a sceû faire.
O Dieux ! aimer un Frere est-ce un plus grand effort,
Que de haïr la vie & courir à la mort ?
Et doit-il estre enfin plus facile en un autre,
De répandre son sang, qu'en vous d'aimer le vostre ?

ETEOCLE
Son illustre vertu me charme comme vous,
Et d'un si beau trépas je suis mesme jaloux.
Et toutefois, Madame, il faut que je vous die,
Qtfun trosne est plus penible à quitter que la vie ;
La gloire bien souvent nous porte à la haïr,
Mais peu de Souverains font gloire d'obeïr.
Les Dieux vouloient son sang, & ce Prince sans crime
Ne pouvoit à l'Estat refuser sa Victime ;
Mais ce mesme païs qui demandoit son sang,
Demande que je regne & m'attache à mon rang.
Jusqu'à ce qu'il m'en oste il faut que j'y demeure.
Il n'a qu'à prononcer j'obeïray sur l'heure,
Et Thebes me verra pour appaiser son sort,
Et descendre du Trosne, & courir à la mort.

CREON
Ah ! Menecée est mort, le Ciel n'en veut point d'autre.
Faites servir son sang sans y joindre le vostre,
Et puis qu'il l'a versé pour nous donner la Paix,
Accordez-la, Seigneur, à nos justes souhaits.

ETEOCLE
Et quoy mesme Creon pour la Paix se declare ?

CREON
Pour avoir trop aimé cette guerre barbare,
Vous vovez les malheurs où le Ciel m'a plongé.
Mon Fils est mort, Seigneur.

ETEOCLE
Il faut qu'il soit vangé.

CREON
Sur qui me vangerois-je en ce mal-heur extréme ?

ETEOCLE
Vos ennemis, Creon, sont ceux de Thebes mesme,
Vangez-la, vangez-vous.

CREON
Ah ! dans ses Ennemis,
Je trouve vostre Frere, & je trouve mon Fils.
Dois-je verser mon sang, ou répandre le vostre ?
Et dois-je perdre un Fils pour en vanger un autre ?
Seigneur, mon sang m'est cher, le vostre m'est sacré,
Seray-je sacrilege ou bien dénaturé ?
Soüilleray-je ma main d'un sang que je revere ?
Seray-je parricide, afin d'estre bon Pere ?
Un si cruel secours ne me peut soulager,
Et ce seroit me perdre au lieu de me vanger.
Tout le soulagement où ma douleur aspire,
C'est qu'au moins mes mal-heurs servent à vostre Empire.
Je me consoleray si ce Fils que je plains,
Assure par sa mort le repos des Thebains.
Le Ciel promet la Paix au sang de Menecée,
Achevez-la, Seigneur, mon Fils l'a commencée,
Accordez-luy ce prix qu'il en a pretendu,
Et que son sang en vain ne soit pas répandu.

IOCASTE
Non, puisqu'à nos mal-heurs vous devenez sensible,
Au sang de Menecée il n'est rien d'impossible,
Que Thebes se rasseure apres ce grand effort,
Puis qu'il change vostre ame, il changera son sort.
La Paix dés ce moment n'est plus desesperée,
Puisque Créon la veut je la tiens asseurée,
Bien-tost ces cœurs de fer se verront adoucis,
Le vainqueur de Creon peut bien vaincre mes Fils.
(à Eteocle.)

Qu'un si grand, changement vous desarme & vous touche,
Quittez mon Fils, quittez cette haine farouche,
Soulagez une Mere, & consolez Creon,
Rendez-moy Polinice, & luy rendez Hemon.

ETEOCLE
Mais enfin, c'est vouloir que je m'impose un Maistre,
Vous ne l'ignorez pas, Polinice veut l'estre ;
Il demande sur tout le pouvoir Souverain,
Et ne veut revenir que le Sceptre à la main.

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