ACTE TROISIÈME - Scène IX



(MATAMORE, CLINDOR.)

MATAMORE
Ah ! traître !

CLINDOR
Parlez bas, ces valets…

MATAMORE
Eh bien ! quoi ?

CLINDOR
Ils fondront tout à l'heure et sur vous et sur moi.
(Matamore le tire en un coin du théâtre.)

MATAMORE
Viens çà. Tu sais ton crime, et qu'à l'objet que j'aime, Loin de parler pour moi, tu parlais pour toi-même ?

CLINDOR
Oui, pour me rendre heureux j'ai fait quelques efforts.

MATAMORE
Je te donne le choix de trois ou quatre morts ; Je vais, d'un coup de poing, te briser comme verre, Ou t'enfoncer tout vif au centre de la terre, Ou te fendre en dix parts d'un seul coup de revers, Ou te jeter si haut au-dessus des éclairs, Que tu sois dévoré des feux élémentaires. Choisis donc promptement, et pense à tes affaires.

CLINDOR
Vous-même choisissez.

MATAMORE
Quel choix proposes-tu ?

CLINDOR
De fuir en diligence, ou d'être bien battu.

MATAMORE
Me menacer encore ! ah, ventre ! quelle audace ! Au lieu d'être à genoux, et d'implorer ma grâce !… Il a donné le mot, ces valets vont sortir… Je m'en vais commander aux mers de t'engloutir.

CLINDOR
Sans vous chercher si loin un si grand cimetière, Je vous vais, de ce pas, jeter dans la rivière.

MATAMORE
Ils sont d'intelligence. Ah, tête !

CLINDOR
Point de bruit : J'ai déjà massacré dix hommes cette nuit ; Et si vous me fâchez, vous en croîtrez le nombre.

MATAMORE
Cadédiou ! ce coquin a marché dans mon ombre ; Il s'est fait tout vaillant d'avoir suivi mes pas : S'il avait du respect, j'en voudrais faire cas. Ecoute : je suis bon, et ce serait dommage De priver l'univers d'un homme de courage. Demande-moi pardon, et cesse par tes feux De profaner l'objet digne seul de mes vœux ; Tu connais ma valeur, éprouve ma clémence.

CLINDOR
Plutôt, si votre amour a tant de véhémence, Faisons deux coups d'épée au nom de sa beauté.

MATAMORE
Parbleu, tu me ravis de générosité. Va, pour la conquérir n'use plus d'artifices, Je te la veux donner pour prix de tes services ; Plains-toi dorénavant d'avoir un maître ingrat !

CLINDOR
À ce rare présent, d'aise le cœur me bat. Protecteur des grands rois, guerrier trop magnanime, Puisse tout l'univers bruire de votre estime !

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