ACTE TROISIÈME - Scène V
(CLINDOR, LYSE.)
CLINDOR
(SEUL)
Le souverain poltron, à qui pour faire peur Il ne faut qu'une feuille, une ombre, une vapeur ! Un vieillard le maltraite, il fuit pour une fille, Et tremble à tous moments de crainte qu'on l'étrille. Lyse, que ton abord doit être dangereux ! Il donne l'épouvante à ce cœur généreux, Cet unique vaillant, la fleur des capitaines, Qui dompte autant de rois qu'il captive de reines !
LYSE
Mon visage est ainsi malheureux en attraits ; D'autres charment de loin, le mien fait peur de près.
CLINDOR
S'il fait peur à des fous, il charme les plus sages. Il n'est pas quantité de semblables visages. Si l'on brûle pour toi, ce n'est pas sans sujet ; Je ne connus jamais un si gentil objet ; L'esprit beau, prompt, accort, l'humeur un peu railleuse, L'embonpoint ravissant, la taille avantageuse, Les yeux doux, le teint vif, et les traits délicats : Qui serait le brutal qui ne t'aimerait pas ?
LYSE
De grâce, et depuis quand me trouvez-vous si belle ? Voyez bien, je suis Lyse, et non pas Isabelle.
CLINDOR
Vous partagez vous deux mes inclinations : J'adore sa fortune, et tes perfections.
LYSE
Vous en embrassez trop, c'est assez pour vous d'une, Et mes perfections cèdent à sa fortune.
CLINDOR
Quelque effort que je fasse à lui donner ma foi, Penses-tu qu'en effet je l'aime plus que toi ? L'amour et l'hyménée ont diverse méthode ; L'un court au plus aimable, et l'autre au plus commode. Je suis dans la misère, et tu n'as point de bien ; Un rien s'ajuste mal avec un autre rien ; Et malgré les douceurs que l'amour y déploie, Deux malheureux ensemble ont toujours courte joie. Ainsi j'aspire ailleurs, pour vaincre mon malheur ; Mais je ne puis te voir sans un peu de douleur, Sans qu'un soupir échappe à ce cœur qui murmure De ce qu'à ses désirs ma raison fait d'injure. A tes moindres coups d'œil je me laisse charmer. Ah ! que je t'aimerais, s'il ne fallait qu'aimer ! Et que tu me plairais, s'il ne fallait que plaire !
LYSE
Que vous auriez d'esprit, si vous saviez vous taire, Ou remettre du moins en quelque autre saison A montrer tant d'amour avec tant de raison ! Le grand trésor pour moi qu'un amoureux si sage, Qui, par compassion, n'ose me rendre hommage, Et porte ses désirs à des partis meilleurs, De peur de m'accabler sous nos communs malheurs ! Je n'oublierai jamais de si rares mérites. Allez continuer cependant vos visites.
CLINDOR
Que j'aurais avec toi l'esprit bien plus content !
LYSE
Ma maîtresse là-haut est seule, et vous attend.
CLINDOR
Tu me chasses ainsi !
LYSE
Non, mais je vous envoie Aux lieux où vous aurez une plus longue joie.
CLINDOR
Que même tes dédains me semblent gracieux !
LYSE
Ah, que vous prodiguez un temps si précieux ! Allez.
CLINDOR
Souviens-toi donc que si j'en aime une autre…
LYSE
C'est de peur d'ajouter ma misère à la vôtre. Je vous l'ai déjà dit, je ne l'oublierai pas.
CLINDOR
Adieu. Ta raillerie a pour moi tant d'appas, Que mon cœur à tes yeux de plus en plus s'engage, Et je t'aimerais trop à tarder davantage.