ACTE TROISIÈME - Scène III



(GÉRONTE, MATAMORE, CLINDOR.)

MATAMORE(à Clindor.)
Ne doit-on pas avoir pitié de ma fortune ? Le grand vizir encor de nouveau m'importune ; Le Tartare, d'ailleurs, m'appelle à son secours ; Narsingue et Calicut m'en pressent tous les jours : Si je ne les refuse, il me faut mettre en quatre.

CLINDOR
Pour moi, je suis d'avis que vous les laissiez battre. Vous emploieriez trop mal vos invincibles coups Si pour en servir un vous faisiez trois jaloux.

MATAMORE
Tu dis bien ; c'est assez de telles courtoisies ; Je ne veux qu'en amour donner des jalousies. Ah ! monsieur, excusez, si, faute de vous voir, Bien que si près de vous, je manquais au devoir. Mais quelle émotion paraît sur ce visage ? Où sont vos ennemis, que j'en fasse carnage ?

GÉRONTE
Monsieur, grâces aux dieux, je n'ai point d'ennemis.

MATAMORE
Mais grâces à ce bras qui vous les a soumis.

GÉRONTE
C'est une grâce encor que j'avais ignorée.

MATAMORE
Depuis que ma faveur pour vous s'est déclarée, Ils sont tous morts de peur, ou n'ont osé branler.

GÉRONTE
C'est ailleurs, maintenant, qu'il vous faut signaler : Il fait beau voir ce bras, plus craint que le tonnerre, Demeurer si paisible en un temps plein de guerre ; Et c'est pour acquérir un nom bien relevé, D'être dans une ville à battre le pavé. Chacun croit votre gloire à faux titre usurpée, Et vous ne passez plus que pour traîneur d'épée.

MATAMORE
Ah, ventre ! il est tout vrai que vous avez raison ; Mais le moyen d'aller, si je suis en prison ? Isabelle m'arrête, et ses yeux pleins de charmes Ont captivé mon cœur et suspendu mes armes.

GÉRONTE
Si rien que son sujet ne vous tient arrêté, Faites votre équipage en toute liberté ; Elle n'est pas pour vous ; n'en soyez point en peine.

MATAMORE
Ventre ! que dites-vous ? je la veux faire reine.

GÉRONTE
Je ne suis pas d'humeur à rire tant de fois Du grotesque récit de vos rares exploits. La sottise ne plaît qu'alors qu'elle est nouvelle : En un mot, faites reine une autre qu'Isabelle. Si pour l'entretenir vous venez plus ici…

MATAMORE
Il a perdu le sens de me parler ainsi. Pauvre homme, sais-tu bien que mon nom effroyable Met le Grand Turc en fuite, et fait trembler le diable ; Que pour t'anéantir je ne veux qu'un moment ?

GÉRONTE
J'ai chez moi des valets à mon commandement, Qui, n'ayant pas l'esprit de faire des bravades, Répondraient de la main à vos rodomontades.

MATAMORE(à Clindor.)
Dis-lui ce que j'ai fait en mille et mille lieux.

GÉRONTE
Adieu. Modérez-vous, il vous en prendra mieux. Bien que je ne sois pas de ceux qui vous haïssent, J'ai le sang un peu chaud, et mes gens m'obéissent.

Autres textes de Pierre Corneille

Tite et Bérénice

"Tite et Bérénice" est une tragédie en cinq actes écrite par Pierre Corneille, jouée pour la première fois en 1670. Cette pièce est inspirée de l'histoire réelle de l'empereur romain...

Théodore

"Théodore" est une tragédie écrite par Pierre Corneille, jouée pour la première fois en 1645. Cette œuvre est notable dans le répertoire de Corneille pour son sujet religieux et son...

Suréna

"Suréna" est une tragédie écrite par Pierre Corneille, présentée pour la première fois en 1674. C'est la dernière pièce écrite par Corneille, et elle est souvent considérée comme une de...

Sophonisbe

"Sophonisbe" est une tragédie écrite par Pierre Corneille, présentée pour la première fois en 1663. Cette pièce s'inspire de l'histoire de Sophonisbe, une figure historique de l'Antiquité, connue pour son...

Sertorius

"Sertorius" est une tragédie écrite par Pierre Corneille, présentée pour la première fois en 1662. Cette pièce se distingue dans l'œuvre de Corneille par son sujet historique et politique, tiré...


Les auteurs


Les catégories

Médiawix © 2024