ACTE PREMIER - Scène III



(ALCANDRE, PRIDAMANT.)

ALCANDRE
Votre fils tout d'un coup ne fut pas grand seigneur ; Toutes ses actions ne vous font pas honneur, Et je serais marri d'exposer sa misère En spectacle à des yeux autres que ceux d'un père. Il vous prit quelque argent, mais ce petit butin À peine lui dura du soir jusqu'au matin ; Et pour gagner Paris, il vendit par la plaine Des brevets à chasser la fièvre et la migraine, Dit la bonne aventure, et s'y rendit ainsi. Là, comme on vit d'esprit, il en vécut aussi. Dedans Saint-Innocent il se fit secrétaire : Après, montant d'état, il fut clerc d'un notaire. Ennuyé de la plume, il le quitta soudain, Et fit danser un singe au faubourg Saint-Germain. Il se mit sur la rime, et l'essai de sa veine Enrichit les chanteurs de la Samaritaine. Son style prit après de plus beaux ornements ; Il se hasarda même à faire des romans, Des chansons pour Gautier, des pointes pour Guillaume. Depuis, il trafiqua de chapelets, de baume, Vendit du mithridate en maître opérateur, Revint dans le palais, et fut solliciteur. Enfin, jamais Buscon, Lazarille de Tormes, Sayavèdre, et Gusman, ne prirent tant de formes. C'était là pour Dorante un honnête entretien !

PRIDAMANT
Que je vous suis tenu de ce qu'il n'en sait rien !

ALCANDRE
Sans vous faire rien voir, je vous en fais un conte, Dont le peu de longueur épargne votre honte. Las de tant de métiers sans bonheur et sans fruit, Quelque meilleur destin à Bordeaux l'a conduit ; Et là, comme il pensait au choix d'un exercice, Un brave du pays l'a pris à son service. Ce guerrier amoureux en a fait son agent : Cette commission l'a remeublé d'argent ; Il sait avec adresse, en portant les paroles, De la vaillante dupe attraper les pistoles ; Même de son agent il s'est fait son rival, Et la beauté qu'il sert ne lui veut point de mal. Lorsque de ses amours vous aurez vu l'histoire, Je vous le veux montrer plein d'éclat et de gloire, Et la même action qu'il pratique aujourd'hui.

PRIDAMANT
Que déjà cet espoir soulage mon ennui !

ALCANDRE
Il a caché son nom en battant la campagne, Et s'est fait de Clindor le sieur de la Montagne ; C'est ainsi que tantôt vous l'entendrez nommer. Voyez tout sans rien dire, et sans vous alarmer. Je tarde un peu beaucoup pour votre impatience : N'en concevez pourtant aucune défiance : C'est qu'un charme ordinaire a trop peu de pouvoir Sur les spectres parlants qu'il faut vous faire voir. Entrons dedans ma grotte, afin que j'y prépare Quelques charmes nouveaux pour un effet si rare.

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