ACTE TROISIÈME - Scène IV



(MATAMORE, ISABELLE, LYSE.)

ISABELLE
Quoi ! chez nous, et de nuit !

MATAMORE
L'autre jour…

ISABELLE
Qu'est ceci, L'autre jour ? est-il temps que je vous trouve ici ?

LYSE
C'est ce grand capitaine. Où s'est-il laissé prendre ?

ISABELLE
En montant l'escalier je l'en ai vu descendre.

MATAMORE
L'autre jour, au défaut de mon affection, J'assurai vos appas de ma protection.

ISABELLE
Après ?

MATAMORE
On vint ici faire une brouillerie ; Vous rentrâtes voyant cette forfanterie ; Et, pour vous protéger, je vous suivis soudain.

ISABELLE
Votre valeur prit lors un généreux dessein. Depuis ?

MATAMORE
Pour conserver une dame si belle, Au plus haut du logis j'ai fait la sentinelle.

ISABELLE
Sans sortir ?

MATAMORE
Sans sortir.

LYSE
C'est-à-dire, en deux mots, Que la peur l'enfermait dans la chambre aux fagots.

MATAMORE
La peur ?

LYSE
Oui, vous tremblez ; la vôtre est sans égale.

MATAMORE
Parce qu'elle a bon pas, j'en fais mon Bucéphale ; Lorsque je la domptai, je lui fis cette loi ; Et depuis, quand je marche, elle tremble sous moi.

LYSE
Votre caprice est rare à choisir des montures.

MATAMORE
C'est pour aller plus vite aux grandes aventures.

ISABELLE
Vous en exploitez bien : mais changeons de discours Vous avez demeuré là-dedans quatre jours ?

MATAMORE
Quatre jours.

ISABELLE
Et vécu ?

MATAMORE
De nectar, d'ambrosie.

LYSE
Je crois que cette viande aisément rassasie ?

MATAMORE
Aucunement.

ISABELLE
Enfin vous étiez descendu…

MATAMORE
Pour faire qu'un amant en vos bras fût rendu, Pour rompre sa prison, en fracasser les portes, Et briser en morceaux ses chaînes les plus fortes.

LYSE
Avouez franchement que, pressé par la faim, Vous veniez bien plutôt faire la guerre au pain.

MATAMORE
L'un et l'autre, parbieu. Cette ambrosie est fade, J'en eus au bout d'un jour l'estomac tout malade. C'est un mets délicat, et de peu de soutien ; À moins que d'être un dieu l'on n'en vivrait pas bien ; Il cause mille maux, et dès l'heure qu'il entre, Il allonge les dents, et rétrécit le ventre.

LYSE
Enfin c'est un ragoût qui ne vous plaisait pas ?

MATAMORE
Quitte pour chaque nuit faire deux tours en bas, Et là, m'accommodant des reliefs de cuisine, Mêler la viande humaine avecque la divine.

ISABELLE
Vous aviez, après tout, dessein de nous voler.

MATAMORE
Vous-mêmes, après tout, m'osez-vous quereller ? Si je laisse une fois échapper ma colère…

ISABELLE
Lyse, fais-moi sortir les valets de mon père.

MATAMORE
Un sot les attendrait.

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