Scène VIII



(GERMAINE MADAME DE SORGES.)

MADAME DE SORGES(vivement. )
Eh bien ? (Germaine fait un signe de tête affirmatif, prenant les mains de Germaine.)
Il a promis ?

GERMAINE(avec effort. )
Oui !

MADAME DE SORGES(avec une joie croissante. )
Il ne se battra pas !

GERMAINE(même jeu. )
Non !

MADAME DE SORGES(éclatant. )
Ah ! Germaine, mon enfant, ma chère enfant ! (Elle la serre dans ses bras.)

GERMAINE(se détachant.)
Oh ! non, non ! non !

MADAME DE SORGES
Quoi ?

GERMAINE
Rien… Vous m'embrassez… Mais pourquoi ?

MADAME DE SORGES
Pourquoi ? Ah ! tiens, je t'adore ! (Elle l'embrasse)

GERMAINE(à part.)
Oh ! misérable ! misérable !

MADAME DE SORGES
Si tu savais combien tes paroles me causent de bonheur ! Il me semble que tu me rends mon fils ! Je souffrais tant depuis deux jours ! Non, pas de cette injure, crois-le bien, je la considérais comme une lâcheté digne tout au plus de mon mépris. Non, ce qui me torturait c'était cette idée horrible qui me poursuivait sans cesse que mon fils pourrait aller à cause de moi exposer sa vie ! Je le voyais sur le terrain ! On me le rapportait blessé.

GERMAINE
C'est vrai !

MADAME DE SORGES
Mourant !…

GERMAINE
C'est vrai ! Oh ! taisez-vous !

MADAME DE SORGES
Que sais-je, moi ? Quand on a peur, on voit tout en noir, on ne se raisonne pas, on perd la tête ! Ah ! mon enfant ! mon enfant, c'est un coup qui m'aurait tuée !

GERMAINE
Ma bonne tante ! maman ! Calmez-vous !

MADAME DE SORGES
Oh ! va, maintenant je suis rassurée, je me sens tout heureuse… et c'est à toi ; chère enfant que je le dois… Ah ! je n'aurai jamais assez de tendresse pour te remercier de tout le bonheur que tu me donnes.

GERMAINE
Ah ! quelle torture ! On me fait souffrir !

MADAME DE SORGES
Mais sais-tu que je vais être jalouse de toi ? Faut-il qu'il t'aime, mon René, pour que tu aies une telle puissance sur lui ! Faut-il que tu sois maîtresse de son coeur… Ah ! je t'engage a être fière de ton triomphe, car mon fils t'a fait là un sacrifice qui a dû bien lui coûter. C'est la plus grande preuve d'amour qu'il ait pu te donner.

GERMAINE
Hélas !

MADAME DE SORGES
Mais cela n'a pas été sans peine, n'est-ce pas ? Dis-moi, la lutte a été bien longue ?

GERMAINE
Oh ! oui !

MADAME DE SORGES
Pauvre garçon ! Il a tant de cœur ! Ah ! j'avais bien raison, lorsque je ne comptais que sur toi, car il n'y avait que sa fiancée qui pût emporter sur lui une telle victoire. Quand l'amour s'en mêle, il faut plier les armes. Ah ! Germaine tu l'aimes donc bien, mon René ?

GERMAINE
Oh ! oui, je l'aime !

MADAME DE SORGES
Et tu seras heureuse quand tu seras à lui. Encore quinze jours et vous vous appartiendrez tout à fait !

GERMAINE
Tout à fait… Oh Dieu et si tout à l'heure. Oh ! non ! assez, assez !

MADAME DE SORGES
Quoi ?… Qu'as-tu

GERMAINE
Moi Rien ! Rien ! (à part)
Ah ! j'étouffe !

MADAME DE SORGES
Mais si ! tu as l'air inquiète, agitée… Est-ce que tu n'es pas contente de René ?

GERMAINE
Si ! Si !

MADAME DE SORGES
Alors, explique-moi !

GERMAINE
Non rien !… Attendez, chut !… (Elle remonte vers la fenêtre.)
Non j'avais cru entendre, oh ! mon Dieu, mon Dieu !

MADAME DE SORGES
Mais enfin, qu'est-ce que tu as, voyons ! tu as quelque chose !

GERMAINE(très agitée. )
Moi, non… non…

MADAME DE SORGES
Regarde-moi, tu détournes les yeux. (Subitement.)
Oh ! mon Dieu ! quel pressentiment !

GERMAINE
Oh ! non, non !

MADAME DE SORGES
Germaine, tu m'as menti !

GERMAINE
Moi !

MADAME DE SORGES
Tu m'as menti ! René se bat !

GERMAINE
Je vous jure !

MADAME DE SORGES
Alors où est-il ? Pourquoi n'est-il pas ici, puisqu'il a renoncé à ce duel ? (Remontant au fond et appelant.)
René ! René ! Tu vois, personne ne répond. La maison est vide ! Mais avoue-moi donc que tu l'as laissé partir !

GERMAINE
Ma mère ! Au nom du ciel !

MADAME DE SORGES
Ah ! misérable ! misérable ! C'est donc vrai ! Mais voyons ! mais parle donc… mais dis-moi où ils sont… Je vais courir, il est peut-être temps encore. Songe que sa vie est en danger. Mais tu veux donc la mort de mon fils ! Ah ! s'il lui arrive quelque chose… Malheur à toi !

GERMAINE(tombant à genoux. )
Grâce ! ne m'accablez pas !

MADAME DE SORGES
Ah ! laisse-moi, laisse-moi passer !

GERMAINE(s'accrochant aux vêtements de Madame de Sorges. )
Non ! non !

MADAME DE SORGES(la traînant sur les genoux.)
Lâche-moi, te dis-je !

GERMAINE
Vous n'irez pas !

MADAME DE SORGES
Ah ! tu me lâcheras entends-tu ! (Elle fait un violent effort et repousse brutalement Germaine qui tombe anéantie.)

GERMAINE
Ma mère !… Ah ! je suis maudite !

MADAME DE SORGES
Ah ! Dieu, protégez-moi ! (Elle remonte vivement vers le fond et s'arrête brusquement en entendant la voix de René.)

RENÉ(dans le coulisse.)
Je vous remercie messieurs, le bras de Robert me suffira !

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