Scène IX



(LES MÊMES, RENÉ, LA REDINGOTE JETÉE SUR LES ÉPAULES, LES BRAS HORS DES MANCHES, ROBERT, SOUTENANT RENÉ.)

MADAME DE SORGES
Mon fils !

GERMAINE
René !

RENÉ
Ma mère ! Ma chère Germaine !

GERMAINE
Vivant ! Vivant ! ma tante, il est vivant !
(Elles se sont élancées au cou de René, mais en les recevant, René pousse un petit cri.)

RENÉ
Ah !

MADAME DE SORGES
Qu'est-ce que tu as ? Est-ce que tu serais blessé ?

RENÉ
Oh ! peu de chose !

GERMAINE
Blessé ! Oh ! mon Dieu !

MADAME DE SORGES
Tu es blessé !… Oh ! montre-moi vite ! Tu es sûr que cela n'est pas grave… tu me le jures… mais assieds-toi, ne reste pas debout comme cela ! Dis-moi, tu ne souffres pas…

RENÉ
Oh ! presque pas… Je suis un peu fatigué, voilà tout.

GERMAINE
Oh ! vite, un coussin, un oreiller, non ! je vais le chercher moi-même.

RENÉ
Non, non !…

GERMAINE
Si, si !
(Elle sort en courant.)

RENÉ
La chère petite !

MADAME DE SORGES
As-tu besoin de quelque chose ? Veux-tu de l'eau fraîche, du linge ?

RENÉ
Je vous remercie, le docteur m'a fait son premier pansement… et tenez, vous voyez qu'il n'est pas bien inquiet de ma piqûre… puisqu'il m'a laissé partir seul avec Robert… il est vrai qu'il est occupé ailleurs. (souriant.)
Mais pourquoi me regardez-vous ainsi ma mère ?

MADAME DE SORGES
Ah ! c'est que je suis heureuse et je sens que je revis. Quelle frayeur tu m'as faite, et dans quelle émotion j'étais ! Tu t'es battu, toi, mon René… Oh ! comme je vais te gronder ! Est-ce ainsi que tu me mets dans des transes mortelles ? Vilain fils, tu t'es battu !

ROBERT
Oh ! et gaillardement, madame, je vous le jure ! C'est que j'étais là, derrière un buisson, monsieur René ne le savait pas, je m'étais dit : "Si l'autre est le plus fort, et bien je m'en mêlerai, moi aussi et à nous deux ! " et j'ai tout regardé… en fermant les yeux… Ah ! nous nous sommes vaillamment conduits et je vous assure, madame, que pour moi qui n'ai jamais été au collège, il m'a fallu de la bravoure pour ne pas perdre courage en ayant aussi peur.

RENÉ
Ah ! par exemple quelqu'un qui a été bien atteint c'est mon excellent adversaire, il en aura pour trois semaines… Figurez-vous ma mère, deux bons pouces de fer dans le côté.

MADAME DE SORGES
Oh !

ROBERT
Oh ! le fait est que monsieur René l'a embroché. Oh ! mais là, avec art…

RENÉ(gaiement.)
C'est alors qu'instinctivement, il a tendu le bras, et que je me suis enfilé moi-même comme un novice (voyant un mouvement de madame de Sorges, souriant.)
Oh ! mais n'ayez pas peur ! je m'en suis tout de suite aperçu… On s'aperçoit bien vite de ces erreurs là… et j'ai rebroussé chemin. C'est égal, il était temps, car si la blessure eût été plus profonde, l'endroit était dangereux. Un moment, l'on redoutait quelque lésion interne, mais l'examen a prouvé qu'il n'y avait rien à craindre : ainsi l'a déclaré le docteur, que je laissai beaucoup moins rassuré sur l'état de son autre blessé. Bref, nous en sommes quittes chacun à plus ou moins bon compte… et le combat finit faute de combattants !

MADAME DE SORGES
René, tu parles trop, ce n'est pas prudent ! Tu vas te fatiguer !

GERMAINE(entrant avec l'oreiller. )
Voilà l'oreiller ! Levez votre tête !

RENÉ
Alors, toutes vos volontés ! Quelle charmante petite enfant gâtée vous êtes !

GERMAINE
Il faut bien que je vous soigne et que j'adoucisse le mal dont je suis cause.

RENÉ
Dont vous êtes cause ?… (Robert remonte dans le fond et va sur la terrasse sans cesser d'être visible au public.)

MADAME DE SORGES
C'est vrai, ma pauvre enfant, j'ai été injuste envers toi, je t'en demande pardon.

GERMAINE
Pardon ! oh ! oh ! maman !

MADAME DE SORGES
Oui, pardon… Je t'ai fait pleurer, tu m'as trouvée dure envers toi. Je t'ai accusée, maltraitée, brutalement repoussée. Eh bien ! oui ! je t'en demande pardon. J'étais folle, vois-tu, mon amour pour René, l'idée qu'il était en danger me faisait perdre la tête… et lorsque tu accomplissais un acte d'héroïsme, moi qui ne suis qu'une mère, je t'accusais de lâcheté… Je me disais que tu n'aimais pas René… et que tu n'avais pas essayé de le retenir.

RENÉ
Elle ma mère… mais c'est le plus noble cœur que je connaisse… Vous l'avez accusée, elle, pauvre chère petite : Ah ! vous ne saviez pas à quel avocat vous aviez confié votre cause ! et n'était l'amour profond qu'elle a pour vous, auquel j'ai fait appel, je ne sais pas comment, j'en serais venu à bout.

GERMAINE
René, je vous en prie…

MADAME DE SORGES
Oh ! mais va, je suis bien heureuse !

GERMAINE
Ah ! je le savais bien !

MADAME DE SORGES
Mes chers enfants !

RENÉ
Enfin, maintenant, c'est fini, Dieu merci, tout s'est bien passé et… (il a un frisson.)

MADAME DE SORGES
Qu'est-ce que tu as !

RENÉ
Rien ! un peu de fièvre… C'est l'effet de ma piqûre.

MADAME DE SORGES
Robert fermez les fenêtres !… (Robert ferme les portes vitrées du fond.)
Il ne faut pas que tu prennes froid et puis tu serais mieux, couché, ta tête est brûlante. Je vais monter moi-même te préparer tout dans ta chambre.

RENÉ
Oh ! laissez ce soin à d'autres, ma mère !

MADAME DE SORGES
Non, non, du tout ! je veux que ce soit moi. Quand mon fils est malade, c'est à moi sa mère de le soigner… c'est bien le moins !
(Elle sort.)

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