ACTE IV - Scène 4
(émilie, Fulvie)
émilie
D'où me vient cette joie, et que mal à propos
Mon esprit malgré moi goûte un entier repos" !
César mande Cinna sans me donner d'alarmes" !
Mon cœur est sans soupirs, mes yeux n'ont point de larmes :
Comme si j'apprenais d'un secret mouvement
Que tout doit succéder à mon contentement" !
Ai-je bien entendu" ? me l'as-tu dit, Fulvie" ?
fulvie
J'avais gagné sur lui qu'il aimerait la vie,
Et je vous l'amenais, plus traitable et plus doux,
Faire un second effort contre votre courroux
Je m'en applaudissais, quand soudain Polyclète,
Des volontés d'Auguste ordinaire interprète
Est venu l'aborder et sans suite et sans bruit,
Et de sa part sur l'heure au palais l'a conduit.
auguste est fort troublé, l'on ignore la cause
Chacun diversement soupçonne quelque chose
Tous présument qu'il ait un grand sujet d'ennui,
Et qu'il mande Cinna pour prendre avis de lui.
Mais ce qui m'embarrasse, et que je viens d'apprendre,
C'est que deux inconnus se sont saisis d'Evandre,
Qu'Euphorbe est arrêté sans qu'on sache pourquoi,
Que même de son maître on dit je ne sais quoi :
On lui veut imputer un désespoir funeste
On parle d'eaux, de Tibre, et l'on se tait du reste.
émilie
Que de sujets de craindre et de désespérer,
Sans que mon triste cœur en daigne murmurer" !
A chaque occasion le ciel y fait descendre
Un sentiment contraire à celui qu'il doit prendre :
Une vaine frayeur tantôt m'a pu troubler,
Et je suis insensible alors qu'il faut trembler.
Je vous entends, grands dieux" ! vos bontés que j'adore
Ne peuvent consentir que je me déshonore
Et ne me permettant soupirs, sanglots, ni pleurs,
Soutiennent ma vertu contre de tels malheurs.
Vous voulez que je meure avec ce grand courage
Qui m'a fait entreprendre un si fameux ouvrage
Et je veux bien périr comme vous l'ordonnez,
Et dans la même assiette où vous me retenez.
O liberté de Rome" ! ô mânes de mon père" !
J'ai fait de mon côté tout ce que j'ai pu faire :
Contre votre tyran j'ai ligué ses amis,
Et plus osé pour vous qu'il ne m'était permis.
Si l'effet a manqué, ma gloire n'est pas moindre
N'ayant pu vous venger, je vous irai rejoindre,
Mais si fumante encor d'un généreux courroux,
Par un trépas si noble et si digne de vous,
Qu'il vous fera sur l'heure aisément reconnaître
Le sang des grands héros dont vous m'avez fait naître.