ACTE V - Scène 3



(auguste, Livie, Cinna, Maxime, Émilie, Fulvie)

auguste
Mais enfin le ciel m'aime, et ses bienfaits nouveaux
Ont enlevé Maxime à la fureur des eaux.
Approche, seul ami que j'éprouve fidèle.

maxime
Honorez moins, seigneur, une âme criminelle.

auguste
Ne parlons plus de crime après ton repentir,
Après que du péril tu m'as su garantir
C'est à toi que je dois et le jour et l'empire.

maxime
De tous vos ennemis connaissez mieux le pire :
Si vous régnez encor, seigneur, si vous vivez,
C'est ma jalouse rage à qui vous le devez.
Un vertueux remords n'a point touché mon âme
Pour perdre mon rival, j'ai découvert sa trame
Euphorbe vous a feint que je m'étais noyé
De crainte qu'après moi vous n'eussiez envoyé :
Je voulais avoir lieu d'abuser Emilie,
Effrayer son esprit, la tirer d'Italie,
Et pensais la résoudre à cet enlèvement
Sous l'espoir du retour pour venger son amant
Mais au lieu de goûter ces grossières amorces,
Sa vertu combattue a redoublé ses forces,
Elle a lu dans mon cœur vous savez le surplus,
Et je vous en ferais des récits superflus.
Vous voyez le succès de mon lâche artifice.
Si pourtant quelque grâce est due à mon indice,
Faites périr Euphorbe au milieu des tourments,
Et souffrez que je meure aux yeux de ces amants.
J'ai trahi mon ami, ma maîtresse, mon maître,
Ma gloire, mon pays, par l'avis de ce traître
Et croirai toutefois mon bonheur infini,
Si je puis m'en punir après l'avoir puni.

auguste
En est-ce assez, ô ciel" ! et le sort, pour me nuire,
A-t-il quelqu'un des miens qu'il veuille encor séduire" ?
Qu'il joigne à ses efforts le secours des enfers
Je suis maître de moi comme de l'univers
Je le suis, je veux l'être. O siècles, ô mémoire" !
Conservez à jamais ma dernière victoire" !
Je triomphe aujourd'hui du plus juste courroux
De qui le souvenir puisse aller jusqu'à vous.
Soyons amis, Cinna, c'est moi qui t'en convie :
Comme à mon ennemi je t'ai donné la vie,
Et, malgré la fureur de ton lâche destin,
Je te la donne encor comme à mon assassin.
Commençons un combat qui montre par l'issue
Qui l'aura mieux de nous ou donnée ou reçue.
Tu trahis mes bienfaits, je les veux redoubler
Je t'en avais comblé, je t'en veux accabler :
Avec cette beauté que je t'avais donnée,
Reçois le consulat pour la prochaine année.
Aime Cinna, ma fille, en cet illustre rang,
Préfères-en la pourpre à celle de mon sang
Apprends sur mon exemple à vaincre ta colère :
Te rendant un époux, je te rends plus qu'un père.

émilie
Et je me rends, seigneur, à ces hautes bontés
Je recouvre la vue auprès de leurs clartés :
Je connais mon forfait qui me semblait justice
Et (ce que n'avait pu la terreur du supplice)
Je sens naître en mon âme un repentir puissant,
Et mon cœur en secret me dit qu'il y consent.
Le ciel a résolu votre grandeur suprême
Et pour preuve, seigneur, je n'en veux que moi-même :
J'ose avec vanité me donner cet éclat,
Puisqu'il change mon cœur, qu'il veut changer l'Etat.
Ma haine va mourir, que j'ai crue immortelle
Elle est morte, et ce cœur devient sujet fidèle
Et prenant désormais cette haine en horreur,
L'ardeur de vous servir succède à sa fureur.

cinna
Seigneur, que vous dirai-je après que nos offenses
Au lieu de châtiments trouvent des récompenses" ?
O vertu sans exemple" ! ô clémence, qui rend
Votre pouvoir plus juste, et mon crime plus grand" !

auguste
Cesse d'en retarder un oubli magnanime
Et tous deux avec moi faites grâce à Maxime :
Il nous a trahis tous mais ce qu'il a commis
Vous conserve innocents, et me rend mes amis.
(A Maxime.)
Reprends auprès de moi ta place accoutumée
Rentre dans ton crédit et dans ta renommée
Qu'Euphorbe de tous trois ait sa grâce à son tour
Et que demain l'hymen couronne leur amour.
Si tu l'aimes encor, ce sera ton supplice.

maxime
Je n'en murmure point, il a trop de justice
Et je suis plus confus, seigneur, de vos bontés
Que je ne suis jaloux du bien que vous m'ôtez.

cinna
Souffrez que ma vertu dans mon cœur rappelée
Vous consacre une foi lâchement violée,
Mais si ferme à présent, si loin de chanceler,
Que la chute du ciel ne pourrait l'ébranler.
Puisse le grand moteur des belles destinées,
Pour prolonger vos jours, retrancher nos années
Et moi, par un bonheur dont chacun soit jaloux,
Perdre pour vous cent fois ce que je tiens de vous" !

Livie
Ce n'est pas tout, seigneur une céleste flamme
D'un rayon prophétique illumine mon âme.
Oyez ce que les dieux vous font savoir par moi
De votre heureux destin c'est l'immuable loi.
Après cette action vous n'avez rien à craindre,
On portera le joug désormais sans se plaindre
Et les plus indomptés, renversant leurs projets,
Mettront toute leur gloire à mourir vos sujets
Aucun lâche dessein, aucune ingrate envie
N'attaquera le cours d'une si belle vie

cinna
Jamais plus d'assassins, ni de conspirateurs :
Vous avez trouvé l'art d'être maître des cœurs.
Rome, avec une joie et sensible et profonde,
Se démet en vos mains de l'empire du monde
Vos royales vertus lui vont trop enseigner
Que son bonheur consiste à vous faire régner :
D'une si longue erreur pleinement affranchie,
Elle n'a plus de vœux que pour la monarchie,
Vous prépare déjà des temples, des autels,
Et le ciel une place entre les immortels
Et la postérité, dans toutes les provinces,
Donnera votre exemple aux plus généreux princes.

auguste
J'en accepte l'augure, et j'ose l'espérer :
Ainsi toujours les dieux vous daignent inspirer !
Qu'on redouble demain les heureux sacrifices
Que nous leur offrirons sous de meilleurs auspices,
Et que vos conjurés entendent publier
Qu'Auguste a tout appris, et veut tout oublier.
(fin du cinquième et dernier acte)

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