ACTE IV - Scène 5
(maxime, Émilie, Fulvie)
émilie
Mais je vous vois, Maxime, et l'on vous faisait mort" !
maxime
Euphorbe trompe Auguste avec ce faux rapport
Se voyant arrêté, la trame découverte,
Il a feint ce trépas pour empêcher ma perte.
émilie
Que dit-on de Cinna" ?
maxime
Que son plus grand regret,
C'est de voir que César sait tout votre secret
En vain il le dénie et le veut méconnaître,
Evandre a tout conté pour excuser son maître,
Et par ordre d'Auguste on vient vous arrêter.
émilie
Celui qui l'a reçu tarde à l'exécuter
Je suis prête à le suivre et lasse de l'attendre.
maxime
Il vous attend chez moi.
émilie
Chez vous" !
maxime
C'est vous surprendre :
Mais apprenez le soin que le ciel a de vous :
C'est un des conjurés qui va fuir avec nous.
Prenons notre avantage avant qu'on nous poursuive
Nous avons pour partir un vaisseau sur la rive.
émilie
Me connais-tu, Maxime, et sais-tu qui je suis" ?
maxime
En faveur de Cinna je fais ce que je puis,
Et tâche à garantir de ce malheur extrême
La plus belle moitié qui reste de lui-même.
Sauvons-nous, Emilie, et conservons le jour
Afin de le venger par un heureux retour.
émilie
cinna dans son malheur est de ceux qu'il faut suivre,
Qu'il ne faut pas venger, de peur de leur survivre
Quiconque après sa perte aspire à se sauver
Est indigne du jour qu'il tâche à conserver.
maxime
Quel désespoir aveugle à ces fureurs vous porte" ?
O dieux" ! que de faiblesse en une âme si forte" !
Ce cœur si généreux rend si peu de combat,
Et du premier revers la fortune l'abat" !
Rappelez, rappelez cette vertu sublime,
Ouvrez enfin les yeux, et connaissez Maxime :
C'est un autre Cinna qu'en lui vous regardez
Le ciel vous rend en lui l'amant que vous perdez
Et puisque l'amitié n'en faisait plus qu'une âme,
Aimez en cet ami l'objet de votre flamme
Avec la même ardeur il saura vous chérir,
Que…
émilie
Tu m'oses aimer, et tu n'oses mourir" !
Tu prétends un peu trop mais quoi que tu prétendes,
Rends-toi digne du moins de ce que tu demandes
Cesse de fuir en lâche un glorieux trépas,
Ou de m'offrir un cœur que tu fais voir si bas
Fais que je porte envie à ta vertu parfaite
Ne te pouvant aimer, fais que je te regrette
Montre d'un vrai Romain la dernière vigueur,
Et mérite mes pleurs au défaut de mon cœur.
Quoi" ! si ton amitié pour Cinna s'intéresse,
Crois-tu qu'elle consiste à flatter sa maîtresse" ?
Apprends, apprends de moi quel en est le devoir,
Et donne-m'en l'exemple, ou viens le recevoir.
maxime
Votre juste douleur est trop impétueuse.
émilie
La tienne en ta faveur est trop ingénieuse.
Tu me parles déjà d'un bienheureux retour,
Et dans tes déplaisirs tu conçois de l'amour" !
maxime
Cet amour en naissant est toutefois extrême
C'est votre amant en vous, c'est mon ami que j'aime.
Et des mêmes ardeurs dont il fut embrasé…
émilie
maxime, en voilà trop pour un homme avisé.
Ma perte m'a surprise, et ne m'a point troublée :
Mon noble désespoir ne m'a point aveuglée
Ma vertu tout entière agit sans s'émouvoir,
Et je vois malgré moi plus que je ne veux voir.
maxime
Quoi" ? vous suis-je suspect de quelque perfidie" ?
émilie
Oui, tu l'es, puisqu'enfin tu veux que je le die
L'ordre de notre fuite est trop bien concerté
Pour ne te soupçonner d'aucune lâcheté :
Les dieux seraient pour nous prodigues en miracles,
S'ils en avaient sans toi levé tous les obstacles.
Fuis sans moi, tes amours sont ici superflus.
maxime
Ah" ! vous m'en dites trop.
émilie
J'en présume encor plus.
Ne crains pas toutefois que j'éclate en injures
Mais n'espère non plus m'éblouir de parjures.
Si c'est te faire tort que de m'en défier,
Viens mourir avec moi pour te justifier.
maxime
Vivez, belle Emilie, et souffrez qu'un esclave…
émilie
Je ne t'écoute plus qu'en présence d'Octave.
Allons, Fulvie, allons.