ACTE troisième - Scène VII



(JOAD JOSABET, AZARIAS, suivi du CHŒUR et de plusieurs LÉVITES.)


JOAD
Eh bien, Azarias, le temple est-il fermé ?

AZARIAS
J'en ai fait devant moi fermer toutes les portes.

JOAD
N'y reste-t-il que vous et vos saintes cohortes ?

AZARIAS
De ses parvis sacrés j'ai deux fois fait le tour.
Tout a fui, tous se sont séparés sans retour,
Misérable troupeau qu'a dispersé la crainte,
Et Dieu n'est plus servi que dans la tribu sainte.
Depuis qu'à Pharaon ce peuple est échappé,
Une égale terreur ne l'avait point frappé.

JOAD
Peuple lâche, en effet, et né pour l'esclavage,
Hardi contre Dieu seul ! Poursuivons notre ouvrage.
Mais qui retient encor ces enfants parmi nous ?

UNE DES FILLES DU CHŒUR
Hé ! pourrions-nous, Seigneur, nous séparer de vous ?
Dans le temple de Dieu sommes-nous étrangères ?
Vous avez près de vous nos pères et nos frères.

UNE AUTRE
Hélas ! si pour venger l'opprobre d'Israël.
Nos mains ne peuvent pas, comme autrefois Jahel,
Des ennemis de Dieu percer la tête impie,
Nous lui pouvons du moins immoler notre vie.
Quand vos bras combattront pour son temple attaqué,
Par nos larmes du moins il peut être invoqué.

JOAD
Voilà donc quels vengeurs s'arment pour ta querelle,
Des prêtres, des enfants, ô Sagesse éternelle !
Mais, si tu les soutiens, qui peut les ébranler ?
Du tombeau, quand tu veux, tu sais nous rappeler,
Tu frappes et guéris, tu perds et ressuscites.
Ils ne s'assurent point en leurs propres mérites,
Mais en ton nom sur eux invoqué tant de fois,
En tes serments jurés au plus saint de leurs rois,
En ce temple où tu fais ta demeure sacrée,
Et qui doit du soleil égaler la durée.
Mais d'où vient que mon cœur frémit d'un saint effroi ?
Est-ce l'Esprit divin qui s'empare de moi ?
C'est lui-même ! il m'échauffe, il parle ; mes yeux s'ouvrent,
Et les siècles obscurs devant moi se découvrent.
Lévites, de vos sons prêtez-moi les accords,
Et de ses mouvements secondez les transports.
(Le chœur chante au son de toute la symphonie des instruments.)

Que du Seigneur la voix se fasse entendre,
Et qu'à nos cœurs son oracle divin
Soit ce qu'à l'herbe tendre
Est, au printemps, la fraîcheur du matin.

JOAD
Cieux, écoutez ma voix : Terre, prête l'oreille.
Ne dis plus, ô Jacob, que ton Seigneur sommeille !
Pécheurs, disparaissez : le Seigneur se réveille.
(Ici recommence la symphonie, et Joad aussitôt reprend la parole.)

Comment en un plomb vil l'or pur s'est-il changé ?
Quel est dans le lieu saint ce pontife égorgé ?
Pleure, Jérusalem, pleure, cité perfide,
Des prophètes divins malheureuse homicide :
De son amour pour toi ton Dieu s'est dépouillé ;
Ton encens à ses yeux est un encens souillé.
Où menez-vous ces enfants et ces femmes ?
Le Seigneur a détruit la reine des cités ;
Ses prêtres sont captifs, ses rois sont rejetés.
Dieu ne veut plus qu'on vienne à ses solennités.
Temple, renverse-toi ; cèdres, jetez des flammes.
Jérusalem, objet de ma douleur,
Quelle main en ce jour a ravi tous tes charmes ?
Qui changera mes yeux en deux sources de larmes
Pour pleurer ton malheur ?

AZARIAS
Ô saint temple !

JOSABET
Ô David !

TOUT LE CHŒUR
Dieu de Sion, rappelle,
Rappelle en sa faveur tes antiques bontés.
(La symphonie recommence encore, et Joad, un moment après, l'interrompt.)


JOAD
Quelle Jérusalem nouvelle
Sort du fond du désert, brillante de clartés,
Et porte sur le front une marque immortelle ?
Peuples de la terre, chantez :
Jérusalem renaît plus brillante et plus belle.
D'où lui viennent de tous côtés
Ces enfants qu'en son sein elle n'a point portés ?
Lève, Jérusalem, lève ta tête altière :
Regarde tous ces rois de ta gloire étonnés,
Les rois des nations, devant toi prosternés,
De tes pieds baisent la poussière ;
Les peuples à l'envi marchent à ta lumière.
Heureux qui pour Sion d'une sainte ferveur
Sentira son âme embrasée !
Cieux, répandez votre rosée,
Et que la terre enfante son Sauveur !

JOSABET
Hélas ! d'où nous viendra cette insigne faveur,
Si les rois de qui doit descendre ce Sauveur…

JOAD
Préparez, Josabet, le riche diadème
Que sur son front sacré David porta lui-même.
(Aux lévites.)

Et vous, pour vous armer, suivez-moi dans ces lieux
Où se garde caché, loin des profanes yeux,
Ce formidable amas de lances et d'épées
Qui du sang philistin jadis furent trempées,
Et que David vainqueur, d'ans et d'honneurs chargé,
Fit consacrer au Dieu qui l'avait protégé.
Peut-on les employer pour un plus noble usage ?
Venez, je veux moi-même en faire le partage.

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