ACTE premier - Scène IV



(Cassiope, Persée, suite de la reine.)

CASSIOPE
Eh bien ! vous le voyez, ce n'était pas un crime,
Et les dieux ont trouvé cet hymen légitime,
Puisque leur ordre exprès nous le fait achever,
Et que par leur présence ils doivent l'approuver.
Mais quoi ! vous soupirez ?

PERSÉE
J'en ai bien lieu, madame.

CASSIOPE
Le sujet ?

PERSÉE
Votre joie.

CASSIOPE
Elle vous gêne l'âme ?

PERSÉE
Après ce que j'ai dit, douter d'un si beau feu,
Reine, c'est ou m'entendre ou me croire bien peu.
Mais ne me forcez pas du moins à vous le dire,
Quand mon âme en frémit et mon cœur en soupire.
Pouvais-je avoir des yeux et ne pas l'adorer ?
Et pourrais-je la perdre et n'en pas soupirer ?

CASSIOPE
Quel espoir formiez-vous, puisqu'elle était promise,
Et qu'en vain son bonheur domptait votre franchise ?

PERSÉE
Vouloir que la raison règne sur un amant,
C'est être plus que lui dedans l'aveuglement.
Un cœur digne d'aimer court à l'objet aimable
Sans penser au succès dont sa flamme est capable ;
Il s'abandonne entier, et n'examine rien ;
Aimer est tout son but, aimer est tout son bien ;
Il n'est difficulté ni péril qui l'étonne.
"Ce qui n'est point à moi n'est encore à personne,
"Disais-je ; et ce rival qui possède sa foi,
"S'il espère un peu plus, n'obtient pas plus que moi."
Voilà durant vos maux de quoi vivait ma flamme,
Et les douces erreurs dont je flattais mon âme.
Pour nourrir des désirs d'un beau feu trop contents,
C'était assez d'espoir que d'espérer au temps ;
Lui qui fait chaque jour tant de métamorphoses
Pouvait en ma faveur faire beaucoup de choses.
Mais enfin la déesse a prononcé ma mort,
Et je suis ce dernier sur qui tombe le sort.
J'étais indigne d'elle et de son hyménée,
Et toutefois, hélas ! je valais bien Phinée.

CASSIOPE
Vous plaindre en cet état, c'est tout ce que je puis.

PERSÉE
Vous vous plaindrez peut-être apprenant qui je suis.
Vous ne vous trompiez point touchant mon origine,
Lorsque vous la jugiez ou royale ou divine :
Mon père est… Mais pourquoi contre vous l'animer ?
Puisqu'il nous faut mourir, mourons sans le nommer ;
Il vengerait ma mort, si j'avais fait connaître
De quel illustre sang j'ai la gloire de naître ;
Et votre grand bonheur serait mal assuré,
Si vous m'aviez connu sans m'avoir préféré.
C'est trop perdre de temps, courons à votre joie,
Courons à ce bonheur que le ciel vous envoie ;
J'en veux être témoin, afin que mon tourment
Puisse par ce poison finir plus promptement.

CASSIOPE
Le temps vous fera voir pour souverain remède
Le peu que vous perdez en perdant Andromède ;
Et les dieux, dont pour nous vous voyez la bonté,
Vous rendront bientôt plus qu'ils ne vous ont ôté.

PERSÉE
Ni le temps ni les dieux ne feront ce miracle.
Mais allons : à votre heur je ne mets point d'obstacle,
Reine ; c'est l'affaiblir que de le retarder ;
Et les dieux ont parlé, c'est à moi de céder.

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