ACTE troisième - Scène première



(Andromède, au pied d'un rocher ; deux vents qui l'y attachent, Timante, chœur de peuple sur le rivage.)

TIMANTE
Allons voir, chers amis, ce qu'elle est devenue,
La princesse, et mourir, s'il se peut, à sa vue.

CHŒUR
La voilà que ces vents achèvent d'attacher,
En infâmes bourreaux, à ce fatal rocher,

TIMANTE
Oui, c'est elle sans doute. Ah ! l'indigne spectacle !

CHŒUR
Si le ciel n'est injuste, il lui doit un miracle.
(Les vents s'envolent.)

TIMANTE
Il en fera voir un, s'il en croit nos désirs.

ANDROMÈDE
Ô dieux !

TIMANTE
Avec respect écoutons ses soupirs ;
Et puissent les accents de ses premières plaintes
Porter dans tous nos cœurs de mortelles atteintes !

ANDROMÈDE
Affreuse image du trépas
Qu'un triste honneur m'avait fardée,
Surprenantes horreurs, épouvantable idée.
Qui tantôt ne m'ébranliez pas,
Que l'on vous conçoit mal quand on vous envisage
Avec un peu d'éloignement !
Qu'on vous méprise alors ! qu'on vous brave aisément !
Mais que la grandeur de courage
Devient d'un difficile usage
Lorsqu'on touche au dernier moment !
Ici seule, et de toutes parts
À mon destin abandonnée ;
Ici que je n'ai plus ni parents, ni Phinée,
Sur qui détourner mes regards ;
L'attente de la mort de tout mon cœur s'empare.
Il n'a qu'elle à considérer ;
Et, quoi que de ce monstre il s'ose figurer.
Ma constance qui s'y prépare
Le trouve d'autant plus barbare
Qu'il diffère à me dévorer.
Étrange effet de mes malheurs !
Mon âme traînante, abattue,
N'a qu'un moment à vivre, et ce moment me lue
À force de vives douleurs.
Ma frayeur a pour moi mille mortelles feintes,
Cependant que la mort me fuit ;
Je pâme au moindre vent, je meurs au moindre bruit ;
Et mes espérances éteintes
N'attendent la fin de mes craintes
Que du monstre qui les produit.
Qu'il tarde à suivre mes désirs !
Et que sa cruelle paresse
À ce cœur dont ma flamme est encor la maîtresse
Goûte d'amers et longs soupirs !
Ô toi, dont jusqu'ici la douceur m'a suivie,
Va-t'en, souvenir indiscret ;
Et, cessant de me faire un entretien secret
De ce prince qui m'a servie,
Laisse-moi sortir de la vie
Avec un peu moins de regret.
C'est assez que tout l'univers
Conspire à faire mes supplices ;
Ne les redouble point, toi qui fus mes délices,
En me montrant ce que je perds ;
Laisse-moi…

Autres textes de Pierre Corneille

Tite et Bérénice

"Tite et Bérénice" est une tragédie en cinq actes écrite par Pierre Corneille, jouée pour la première fois en 1670. Cette pièce est inspirée de l'histoire réelle de l'empereur romain...

Théodore

"Théodore" est une tragédie écrite par Pierre Corneille, jouée pour la première fois en 1645. Cette œuvre est notable dans le répertoire de Corneille pour son sujet religieux et son...

Suréna

"Suréna" est une tragédie écrite par Pierre Corneille, présentée pour la première fois en 1674. C'est la dernière pièce écrite par Corneille, et elle est souvent considérée comme une de...

Sophonisbe

"Sophonisbe" est une tragédie écrite par Pierre Corneille, présentée pour la première fois en 1663. Cette pièce s'inspire de l'histoire de Sophonisbe, une figure historique de l'Antiquité, connue pour son...

Sertorius

"Sertorius" est une tragédie écrite par Pierre Corneille, présentée pour la première fois en 1662. Cette pièce se distingue dans l'œuvre de Corneille par son sujet historique et politique, tiré...


Les auteurs


Les catégories

Médiawix © 2024