ACTE second - Scène I



(Andromède, chœur de nymphes, un page.)

ANDROMÈDE
Nymphes, notre guirlande est encor mal ornée ;
Et devant qu'il soit peu nous reverrons Phinée,
Que de ma propre main j'en voulais couronner
Pour les heureux avis qu'il vient de me donner.
Toutefois la faveur ne serait pas bien grande ;
Et mon cœur après tout vaut bien une guirlande.
Dans l'état où le ciel nous a mis aujourd'hui,
C'est l'unique présent qui soit digne de lui.
Quittez, nymphes, quittez ces peines inutiles ;
L'augure déplairait de tant de fleurs stériles ;
Il faut à notre hymen des présages plus doux.
Dites-moi cependant laquelle d'entre vous…
Mais il faut me le dire, et sans faire les fines.

AGLANTE
Quoi, madame ?

ANDROMÈDE
À tes yeux je vois que tu devines.
Dis-moi donc d'entre vous laquelle a retenu
En ces lieux jusqu'ici cet illustre inconnu.
Car enfin ce n'est point sans un peu de mystère
Qu'un tel héros s'attache à la cour de mon père.
Quelque chaîne l'arrête et le force à tarder.
Qu'on ne perde point temps à s'entre-regarder.
Parlez, et d'un seul mot éclaircissez mes doutes.
Aucune ne répond, et vous rougissez toutes !
Quoi ! toutes l'aimez-vous ? Un si parfait amant
Vous a-t-il su charmer toutes également ?
Il n'en faut point rougir, il est digne qu'on l'aime :
Si je n'aimais ailleurs, peut-être que moi-même,
Oui, peut-être, à le voir si bien fait, si bien né,
Il aurait eu mon cœur, s'il n'eût été donné.
Mais j'aime trop Phinée, et le change est un crime.

AGLANTE
Ce héros vaut beaucoup puisqu'il a votre estime ;
Mais il sait ce qu'il vaut, et n'a jusqu'à ce jour
À pas une de nous daigné montrer d'amour.

ANDROMÈDE
Que dis-tu ?

AGLANTE
Pas fait même une offre de service.

ANDROMÈDE
Ah ! c'est de quoi rougir toutes avec justice ;
Et la honte à vos fronts doit bien cette couleur,
Si tant de si beaux yeux ont pu manquer son cœur.

CÉPHALIE
Où les vôtres, madame, épandent leur lumière,
Cette honte pour nous est assez coutumière.
Les plus vives clartés s'éteignent auprès d'eux,
Comme auprès du soleil meurent les autres feux :
Et pour peu qu'on vous voie et qu'on vous considère,
Vous ne nous laissez point de conquêtes à faire.

ANDROMÈDE
Vous êtes une adroite ; achevez, achevez :
C'est peut-être en effet vous qui le captivez ;
Car il aime, et j'en vois la preuve trop certaine.
Chaque fois qu'il me parle il semble être à la gêne ;
Son visage et sa voix changent à tout propos ;
Il hésite, il s'égare au bout de quatre mots ;
Ses discours vont sans ordre ; et plus je les écoute,
Plus j'entends des soupirs dont j'ignore la route.
Où vont-ils, Céphalie ? où vont-ils ? répondez.

CÉPHALIE
C'est à vous d'en juger, vous qui les entendez.

LE PAGE (, chantant sans être vu.)
Qu'elle est lente cette journée !

ANDROMÈDE
Taisons-nous : cette voix me parle pour Phinée ;
Sans doute il n'est pas loin, et veut à son retour
Que des accents si doux m'expliquent son amour.

LE PAGE
Qu'elle est lente cette journée
Dont la fin me doit rendre heureux !
Chaque moment à mon cœur amoureux
Semble durer plus d'une année.
O ciel ! quel est l'heur d'un amant,
Si, quand il en a l'assurance.
Sa juste impatience
Est un nouveau tourment ?
Je dois posséder Andromède :
Juge, Soleil, quel est mon bien !
Vis-tu jamais amour égal au mien ?
Vois-tu beauté qui ne lui cède ?
Puis donc que la longueur du jour
De mon nouveau mal est la source,
Précipite ta course,
Et tarde ton retour.
Tu luis encore, et ta lumière
Semble se plaire à m'affliger.
Ah ! mon amour te va bien obliger
À quitter soudain ta carrière.
Viens, Soleil, viens voir la beauté
Dont le divin éclat me dompte ;
Et tu fuiras de honte
D'avoir moins de clarté.

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