ACTE premier - Scène II



(Cephée, Cassiope, Phinée, Persée, Suite du Roi et de la Reine.)

CÉPHÉE
N'en parlons plus, Phinée,
Et laissons d'Andromède aller la destinée.
Votre amour fait pour elle un inutile effort ;
Je la dois comme une autre au triste choix du sort.
Elle est cause du mal, puisqu'elle l'est du crime :
Peut-être qu'il la veut pour dernière victime,
Et que nos châtiments deviendraient éternels.
S'ils ne pouvaient tomber sur les vrais criminels.

PHINÉE
Est-ce un crime en ces lieux, seigneur, que d'être belle ?

CÉPHÉE
Elle a rendu par là sa mère criminelle.

PHINÉE
C'est donc un crime ici que d'avoir de bons yeux
Qui sachent bien juger d'un tel présent des cieux.

CÉPHÉE
Qui veut en bien juger n'a point le privilège
D'aller jusqu'au blasphème et jusqu'au sacrilège.

CASSIOPE
Ce blasphème, seigneur, de quoi vous m'accusez…

CÉPHÉE
Madame, après les maux que vous avez causés,
C'est à vous à pleurer, et non à vous défendre.
Voyez, voyez quel sang vous avez fait répandre ;
Et ne laissez paraître en cette occasion
Que larmes, que soupirs, et que confusion.
(à Phinée.)
Je vous le dis encore, elle la crut trop belle ;
Et peut-être le sort l'en veut punir en elle :
Dérober Andromède à cette élection,
C'est dérober sa mère à sa punition.

PHINÉE
Déjà cinq fois, seigneur, à ce choix exposée,
Vous voyez que cinq fois le sort l'a refusée.

CÉPHÉE
Si le courroux du ciel n'en veut point à ses jours,
Ce qu'il a fait cinq fois il le fera toujours.

PHINÉE
Le tenter si souvent, c'est lasser sa clémence :
Il pourra vous punir de trop de confiance ;
Vouloir toujours faveur, c'est trop lui demander,
Et c'est un crime enfin que de tant hasarder.
Mais quoi ! n'est-il, seigneur, ni bonté paternelle,
Ni tendresse du sang qui vous parle pour elle ?

CÉPHÉE
Ah ! ne m'arrachez point mon sentiment secret.
Phinée, il est tout vrai, je l'expose à regret.
J'aime que votre amour en sa faveur me presse ;
La nature en mon cœur avec lui s'intéresse ;
Mais elle ne saurait mettre d'accord en moi
Les tendresses d'un père et les devoirs d'un roi ;
Et par une justice à moi-même sévère,
Je vous refuse en roi ce que je veux en père.

PHINÉE
Quelle est cette justice, et quelles sont ces lois
Dont l'aveugle rigueur s'étend jusques aux rois ?

CÉPHÉE
Celles que font les dieux, qui, tout rois que nous sommes,
Punissent nos forfaits ainsi que ceux des hommes,
Et qui ne nous font part de leur sacré pouvoir
Que pour le mesurer aux règles du devoir.
Que diraient mes sujets si je me faisais grâce,
Et si, durant qu'au monstre ou expose leur race,
Ils voyaient, par un droit tyrannique et honteux,
Le crime en ma maison, et la peine sur eux ?

PHINÉE
Heureux sont les sujets, heureuses les provinces
Dont le sang peut payer pour celui de leurs princes !

CÉPHÉE
Mais heureux est le prince, heureux sont ses projets,
Quand il se fait justice ainsi qu'à ses sujets !
Notre oracle, après tout, n'excepte point ma fille,
Ses termes généraux comprennent ma famille ;
Et ne confondre pas ce qu'il a confondu,
C'est se mettre au-dessus du dieu qui l'a rendu.

PERSÉE
Seigneur, s'il m'est permis d'entendre votre oracle,
Je crois qu'à sa prière il donne peu d'obstacle ;
Il parle d'Andromède, il la nomme, il suffit,
Arrêtez-vous pour elle à ce qu'il vous en dit ;
La séparer longtemps d'un amant si fidèle.
C'est tout le châtiment qu'il semble vouloir d'elle.
Différez son hymen sans l'exposer au choix.
Le ciel assez souvent, doux aux crimes des rois.
Quand il leur a montré quelque légère haine,
Répand sur leurs sujets le reste de leur peine.

CÉPHÉE
Vous prenez mal l'oracle ; et pour l'expliquer mieux,
Sachez… Mais quel éclat vient de frapper mes yeux ?
D'où partent ces longs traits de nouvelles lumières ? (Le ciel s'ouvre durant cette contestation du roi avec Phinée, et fait voir dans un profond éloignement l'étoile de Vénus qui sert de machine pour apporter celte déesse jusqu'au milieu du théâtre. Elle s'avance lentement sans que l'œil puisse découvrir à quoi elle est suspendue ; et cependant le peuple a loisir de lui adresser ses vœux par cet hymne que chantent les musiciens.)

PERSÉE
Du ciel qui vient d'ouvrir ses luisantes barrières,
D'où quelque déité vient, ce semble, ici-bas
Terminer elle-même entre vous ces débats.

CASSIOPE
Ah ! je la reconnais, la déesse d'Éryce ;
C'est elle, c'est Vénus, à mes vœux si propice :
Je vois dans ses regards mon bonheur renaissant.
Peuple, faites des vœux, tandis qu'elle descend.

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