ACTE 5 - SCENE 2
La Reine (entrant)
Don César !
Ruy Blas (se retournant avec un mouvement d'épouvante, et fermant précipitamment la robe qui cache sa livrée)
Dieu ! C'est elle ! -au piège horrible elle est prise ! (Haut)
Madame ! …
La Reine
Eh bien ! Quel cri d'effroi ! César…
Ruy Blas
Qui vous a dit de venir ici ?
La Reine
Toi.
Ruy Blas
Moi ? -comment ?
La Reine
J'ai reçu de vous…
Ruy Blas (haletant)
Parlez donc vite ! Une lettre.
Ruy Blas
De moi !
La Reine
De votre main écrite.
Ruy Blas
Mais c'est à se briser le front contre le mur ! Mais je n'ai pas écrit, pardieu, j'en suis bien sûr !
La Reine (tirant de sa poitrine un billet qu'elle lui présente)
Lisez donc.
(Ruy Blas prend la lettre avec emportement, et se penche vers la lampe et lit)
Ruy Blas (lisant)
" un danger terrible est sur ma tête. " ma reine seule peut conjurer la tempête… (il regarde la lettre avec stupeur, comme ne pouvant aller plus loin)
La Reine (continuant, et lui montrant du doigt la ligne qu'elle lit)
" en venant me trouver ce soir dans ma maison. " sinon, je suis perdu. "
Ruy Blas (d'une voix éteinte)
Ho ! Quelle trahison ! Ce billet !
La Reine (continuant de lire)
" par la porte au bas de l'avenue, " vous entrerez la nuit sans être reconnue. " quelqu'un de dévoué vous ouvrira. "
Ruy Blas (à part)
J'avais oublié ce billet. (à la reine, d'une voix terrible)
Allez-vous-en !
La Reine
Je vais m'en aller, don César. ô mon Dieu ! Que vous êtes méchant ! Qu'ai-je donc fait ?
Ruy Blas
ô ciel ! Ce que vous faites ? Vous vous perdez !
La Reine
Comment ?
Ruy Blas
Je ne puis l'expliquer. Fuyez vite.
La Reine
J'ai même, et pour ne rien manquer, eu le soin d'envoyer ce matin une duègne… RUY BLAS : Dieu ! -mais, à chaque instant, comme d'un cœur qui saigne, je sens que votre vie à flots coule et s'en va. Partez !
La Reine (comme frappée d'une idée subite)
Le dévouement que mon amour rêva m' inspire. Vous touchez à quelque instant funeste. Vous voulez m'écarter de vos dangers ! -je reste.
Ruy Blas
Ah ! Voilà, par exemple, une idée ! ô mon Dieu ! Rester à pareille heure et dans un pareil lieu !
La Reine
La lettre est bien de vous. Ainsi…
Ruy Blas (levant les bras au ciel de désespoir)
Bonté divine !
La Reine
Vous voulez m'éloigner.
Ruy Blas (lui prenant les mains)
Comprenez !
La Reine
Je devine. Dans le premier moment vous m'écrivez, et puis…
Ruy Blas
Je ne t'ai pas écrit. Je suis un démon. Fuis ! Mais c'est toi, pauvre enfant, qui te prends dans un piège ! Mais c'est vrai ! Mais l'enfer de tous côtés t'assiège ! Pour te persuader je ne trouve donc rien ? écoute, comprends donc, je t'aime, tu sais bien. Pour sauver ton esprit de ce qu'il imagine, je voudrais arracher mon cœur de ma poitrine ! Oh ! Je t'aime. Va-t'en !
La Reine
Don César…
Ruy Blas
Oh ! Va-t'en !
-mais, j'y songe, on a dû t'ouvrir ?
La Reine
Mais oui.
Ruy Blas
Satan !
Qui ?
La Reine
Quelqu'un de masqué, caché par la muraille.
Ruy Blas
Masqué ! Qu'a dit cet homme ? Est-il de haute taille ?
Cet homme, quel est-il ? Mais parle donc ! J'attends !
(Un homme en noir et masqué paraît à la porte du fond)
L'Homme Masqué
C'est moi !
(Il ôte son masque. C'est Don Salluste)
(La reine et Ruy Blas le reconnaissent avec terreur)